Chapitre 1 : Les souvenirs

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Je capte chaque lumière qui passe sur le visage d'une petite fille qui joue avec une fleur. Je termine les traits de son visage et fais les ombres. Assise au creux d'un arbre, je suis parfaitement installée. La luminosité est parfaite. Le vent ne me dérange pas non plus. J'assombris les yeux de Capucine et y ajoute une lueur, que j'espère, réussie. C'est toujours difficile de capter les émotions. Surtout d'aussi loin. Elle ne sait pas que je l'observe et la dessine. Elle est l'innocence incarnée. De longs cheveux blonds, un visage de poupée et une petite robe blanche.

Elle lève soudainement les yeux vers moi et me fait un coucou. Je lui réponds par un sourire et me replonge dans mon dessin. D'ici une heure, il sera terminé. J'essaie d'en vendre un maximum.

Ma profession de dessinatrice n'est pas aussi florissante qu'on le pense. Je sauve les apparences. Le village est trop petit. Pas assez d'étrangers viennent pour s'intéresser à mon art. Je dessine pour les habitants de Belgrade. Mais j'adorerais faire découvrir mon talent au monde entier. Mais quitter Belgrade est trop difficile. Surtout pour une jeune femme comme moi. Je suis née ici et je n'ai vu qu'ici. Je meurs d'envie d'explorer les royaumes. De voler de mes propres ailes. Et de voyager. D'être indépendante.

Mais je suis sensée reprendre l'entreprise familiale. Mes parents étaient fermiers. En attendant, ma tante qui m'a recueilli ainsi que mes frères, s'occupe de nos champs et de nos bêtes. Je l'aide du mieux que je peux. Mais je ne veux pas faire cela toute ma vie. Je sais que je n'aurai surement pas le choix que de m'y plier malheureusement.

Mes frères sont constamment sur mes dessins, ainsi que le doux visage de nos parents décédés. J'essaie de me souvenir d'eux, de retenir chacune de leur mimique, leur grimace, leur sourire. Ils me manquent. Alors je dessine leur visage et j'enferme à double tour mes souvenirs dans ma table de chevet, à coté de mon lit. Ils sont partout et ne me quittent pas un seul instant. Ils sont dans un cadre dans la chambre des triplés. Ils veillent sur eux. Je m'efforce de le faire le mieux possible. Nous avons dix ans de différence. Ca peut paraitre énorme mais c'est génial.

Apparemment, je ressemble trait pour trait à ma mère. Tant au niveau du caractère que du physique. Nous sommes douces, dévouées, intelligentes. Avec de longs cheveux blonds bouclés, des yeux bleu et un petit nez, nous sommes identiques. Mes frères sont un mélange parfait entre nos parents. Ils ne sont pas le moins perturbés par leur disparation. Ils ne les ont presque pas connu.

- Rosalie ? Tu peux venir m'aider ?

J'abandonne mes crayons et descends dans la cuisine. Ma tante, Zia, est une très belle femme. Elle est occupée aux fourneaux et se tourne vers moi en entendant mes pas sur le sol en bois.

- Viens couper un peu de pain. Les garçons sont affamés. 

Je réprime un petit rire.

- Ils ont toujours faim tatie.

Elle me sourit tendrement et dépose un baiser sur mon front alors je passe à coté d'elle.

- Je sais, Rose. Des véritables garnements si je puis dire.

Ils ne sont très faciles à gérer. Ils ont une institutrice qui vient à domicile et elle en voit de toutes les couleurs. Mais ils sont adorables autrement. Quelques disputes entre eux. Ils se ressemblent tellement que tout le village les confond à chaque fois. Mais j'ai appris à les reconnaitre. Aaron a un visage plus rondouillet, tandis que Kane et Greg ont un visage légèrement plus allongé et les yeux plus en amandes.

Je termine de découper le pain et dresse la table. Nos assiettes sont un peu ébréchées mais c'est le service de mariage de mes parents, alors j'ai à tout prix voulu les garder. Les petits démons sont occupés à courir dans notre jardin.

Je sors dehors et les rattrape en courant. Ils hurlent à ma vue et déguerpissent ensemble. Je leur cours après un long moment, jusqu'à ce qu'essoufflée, je m'arrête, une main sur ma côte. Ils passent à coté de moi en hurlant de rire. J'essaie de reprendre mon souffle. J'ai davantage l'habitude de porter du foin plutôt que de m'entrainer à avoir une condition physique meilleure.

- Allez les garçons, on rentre ! On va manger.

Ils font demi-tour aussitôt et rentrent dans la cuisine. Je souris et les suis. On s'installe à table, mangeons de tout et parlons de notre journée. Un petit rituel plaisant que nous nous plions avec plaisir.

Plus tard, je pars faire un tour dans le village et achète une peau de bête pour nous tenir chaud quand la saison froide nous frappera de plein fouet. Ainsi que quelques morceaux de viandes. Nos chasseurs ont bien travaillé ce mois-ci. Et en rentrant, je passe par la librairie. La vendeuse, Catarina, a reçu quelques papiers à grain qu'il me faut absolument. Je les lui achète cinq cendrus par feuille, ce qui est énorme. Mais j'ai bien gagné en vendant nos pommes de terre sur le petit marché. Elle me parle pendant près d'une demi-heure. Une de mes voisines, m'invite ensuite à boire une tasse de thé que je refuse poliment car il est déjà tard. Le village est bien situé. Nous sommes entourés par une montagne recouverte de neige sur le pic et d'une forêt derrière notre ferme familiale. La forêt d'Acasia. Il n'y a que les chasseurs qui peuvent la traverser. Je me suis toujours demandée vers ou elle menait. L'accès nous y est interdit. Quelles contrées il y a derrière cette étendue d'arbres. 

Le village est décoré en l'honneur de l'arrivée de l'été. Il y a des banderoles qui traversent les rues et qui annoncent la prochaine fête traditionnelle. Les fleurs commencent à décorer les appuis de fenêtres des maisons. Tout est coloré.

Je rentre ensuite à la maison, pleine de victuailles.

Quand il est l'heure de coucher les garçons, c'est moi qui m'en charge. Ils enfilent leur pyjama et se cachent sous leur couverture, ne laissant dépasser que leur yeux gris. Je les borde et les embrasse chacun à leur tour. Ils dorment chacun dans leur lit mais il m'arrive de les retrouver tous ensemble dans celui de Kane. Ils ont une petite lampe à bougie qui éclaire une partie de la chambre pendant la nuit. Comme une veilleuse.

Alors je suis déjà sur le pas de la porte, Aaron m'appelle. Je me tourne vers le plus coquin des trois.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Tu es triste, Rose. Tout le monde le voit, me dit-il de sa petite voix.

Je lui souris, attendrie.

- Tout va bien, Aaron. Ne te fais pas de souci pour moi. Dormez bien les garçons !

Je referme la porte et m'y adosse aussitôt. J'étais persuadée d'avoir caché mes émotions mais ils voient tout. Je ne veux pas les inquiéter avec mes problèmes. Ils sont trop petits. Je ferme un instant les yeux. Ce sont les marches qui grincent qui me font réaliser que ma tante a remarqué mes larmes.

- Oh Rosalie, chuchote-t-elle et elle s'approche pour me prendre dans ses bras.

Je m'accroche à elle de toutes mes forces et éclate en sanglots.

- Tout va bien, ma chérie. Respire calmement. C'est normal de craquer. Tu ne peux pas tout oublier du jour au lendemain.

- Je sais, je sais.

Blottie contre elle, elle me murmure :

- Va te coucher, repose toi.

Je hoche la tête et elle m'embrasse sur le front. Je traverse le couloir et entre dans ma chambre. Je ferme la porte derrière moi et aperçois ma tante m'observer avant d'être complètement seule.

Je m'assois sur mon lit, le cœur déchiré. La vie ne m'a pas fait beaucoup de cadeaux, hormis la naissance de mes frères et tante Zia. Ils sont tout ce qu'ils me restent à présent. Je n'avais plus craqué depuis des mois.

Le temps répare les choses apparemment. J'attends qu'il fasse son œuvre et me répare.

De cendres et lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant