Extrait 4

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L'air était presque froid ; le vent soufflait par courte rafales. La lueur des torches répandait sur le fleuve des marbrures rouges.

Messire Alain de Pareilles, chapeau de fer en tête, l'air ennuyé comme toujours, se tenait à cheval, en avant de ses archers.

Autour du bûcher, dont la hauteur dépassait la taille d'un homme, les bourreaux et leurs aides, encapuchonnés de rouge, s'affairaient, rectifiaient l'alignement des rondins, préparaient des fagots de réserve, avec le souci du travail bien fait.

Au sommet du bûcher, le grand-maître des Templiers et le précepteur de Normandie étaient déjà liés, côte à côte, à leurs poteaux. On leur avait mis sur la tête l'infamante mitre de papier des hérétiques.

Un moine tendait vers leurs visages un crucifix à longue hampe, et leur adressait ses dernières exhortations. La foule fit silence, pour entendre le moine.

« Dans un instant vous allez comparaître devant Dieu. Il est temps encore de confesser vos fautes et de vous repentir... Je vous en adjure pour la dernière fois... »

Là-haut, les condamnés, immobiles entre ciel et terre et la barbe tordue par le vent, ne répondirent pas.

« Ils refusent de se confesser : ils ne se repentent point », murmura-t-on dans l'assistance.

Le silence devient plus dense, plus profond. Le moine s'était agenouillé au pied du bûcher, et récitait les prières en latin. Le maître-bourreau prit de la main de l'un de ses aides le brandon d'étoupe allumée qu'il fit tournoyer plusieurs fois pour en aviver la flamme.

Un enfant se mit à pleurer et l'on entendit claquer le bruit d'une gifle.

Alain de Pareilles se tourna vers la loggia royale comme s'il demandait un ordre ; tous les regards, toutes les têtes se dirigèrent du même côté. Et toutes les respirations restèrent en suspens.

Philippe le Bel était debout contre la balustrade, avec les membres de son Conseil alignés de part et d'autre de sa personne, et formant sous la lumière des torches comme un bas-relief au flanc de la tour.

Les condamnés eux-mêmes avaient levé les yeux vers la loggia. Le regard du roi et celui du grand-maître se croisèrent, se mesurèrent, s'accrochèrent, se retinrent.

Personne ne pouvait savoir quelles pensées, quels sentiments, quels souvenirs roulaient sous le front des deux ennemis. Mais la foule perçut instinctivement que quelque chose de grandiose, de terrible, de surhumain était en train de se jouer dans cet affrontement muet entre ces deux princes de la terre, l'un tout-puissant, l'autre qui l'avait été.

Le grand-maître du Temple allait-il enfin s'humilier et demander pitié ? Et le roi Philippe le Bel allait-il, dans un mouvement d'ultime clémence, gracier les condamnés ?

Le roi fit un geste de la main, et l'on vit étinceler une bague à son doigt. Alain de Pareilles répéta le geste à l'intention du bourreau et celui-ci enfonça le brandon d'étoupe dans les fagots. Un immense soupir s'échappa de milliers de poitrines, soupir de soulagement et d'horreur, de trouble joie et d'épouvante, d'angoisse, de répulsion et de plaisir mêlés.

Plusieurs femmes hurlèrent. Des enfants se cachèrent la tête dans les vêtements de leurs parents. Une voix d'homme cria :

« Je t'avais bien dit de ne pas venir ! »

La fumée commença de s'élever en spirales épaisses qu'une rafale de vent rabattit vers la loggia.

Mgr de Valois toussa, y mettant le plus d'ostentation qu'il put. Il recula entre Guillaume de Nogaret et Marigny et dit :

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