Extrait 36

6 0 0
                                    

SCÈNE IV

ÉGISTHE, ORESTE et ÉLECTRE (cachés)


ÉGISTHE

Est-ce là, Jupiter, le roi dont tu avais besoin pour Argos ? Je vais, je viens, je sais crier d'une voix forte, je promène partout ma grande apparence terrible, et ceux qui m'aperçoivent se sentent coupables jusqu'aux moelles. Mais je suis une coque vide : une bête m'a mangé le dedans sans que je m'en aperçoive. A présent je regarde en moi-même, et je vois que je suis plus mort qu'Agamemnon. Ai-je dit que j'étais triste ? J'ai menti. Il n'est ni triste ni gai, le désert, l'innombrable néant des sables sous le néant lucide du ciel : il est sinistre. Ah ! je donnerais mon royaume pour verser une larme !

Entre Jupiter.


SCÈNE V

LES MÊMES, JUPITER


JUPITER

Plains-toi : tu es un roi semblable à tous les rois.

ÉGISTHE

Qui es-tu ? Que viens-tu faire ici ?

JUPITER

Tu ne me reconnais pas ?

ÉGISTHE

Sors d'ici, ou je te fais rosser par mes gardes.

JUPITER

Tu ne me reconnais pas ? Tu m'as vu pourtant. C'était en songe. Il est vrai que j'avais l'air plus terrible. (Tonnerre, éclairs, Jupiter prend l'air terrible.) Et comme ça ?

ÉGISTHE

Jupiter !

JUPITER

Nous y voilà. (Il redevient souriant, s'approche de la statue.) C'est moi, ça ? C'est ainsi qu'ils me voient quand ils prient, les habitants d'Argos ? Parbleu, il est rare qu'un Dieu puisse contemple son image face à face. (Un temps.). Que je suis laid ! Ils ne doivent pas m'aimer beaucoup.

ÉGISTHE

Ils vous craignent.

JUPITER

Parfait ! Je n'ai que faire d'être aimé. Tu m'aimes, toi ?

ÉGISTHE

Que me voulez-vous ? N'ai-je pas assez payé ?

JUPITER

Jamais assez !

ÉGISTHE

Je crève à la tâche.

JUPITER

N'exagère pas ! Tu te portes assez bien et tu es gras. Je ne te le reproche pas, d'ailleurs. C'est de la bonne graisse royale, jaune comme le suif d'une chandelle, il en faut. Tu es taillé pour vivre encore vingt ans.

ÉGISTHE

Encore vingt ans !

JUPITER

Révisez vos classiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant