Chapitre 5

13 3 0
                                    

  Le grincement de pelles craquant difficilement dans l'asphalte, et le bruit creux des soulèvements du sol plafonnaient dans une toile rigide, tendue par les restes de pluie. S'émiétant encore au sol, des flaques d'eau bourbeuses séchaient dans l'humidité glaciale du vent, elles continuaient une route invisible jusque devant la bouche béante d'un trou pas très profond, juste assez pour ne plus faire dépasser ses stalagmites en pierre mordant l'ourlet gonflé de ses lèvres.

Assis sur une chaise de camping, dont le tissu s'affaissait avec faiblesse dans ses taches brunâtres, un soldat observait d'un œil distrait quelques collègues passant et repassant dans la tente, qui grattaient le sol terreux avec leurs grosses bottes. Puis, d'une ombre dissoute par les vapeurs d'éthanol, ils s'encastrait dans les nuages s'écoulant dans ce paysage apocalyptique. Jeong n'était pas un adorateur de ces spectacles mornes, il se gardait ses airs voyeurs pour témoigner son ennui évincé d'affliction ; le pétrichor grattait encore son nez puis quelques relents atrabilaires secouait son estomac. Il se sentit inconfortable, installé dans des vêtements humides, trempant dans des sueurs tièdes.

Il se leva finalement, secouant ses cheveux bruns en s'étirant, il retint un gémissement de douleur quand son dos claqua, puis il pinça les lèvres en attrapant sa veste qu'il enfila pour compléter son apparat militaire ; un treillis qui gardait quelques transpirations renfermées, assemblé d'une autre époque pour défendre de vieux blasons évincés. Fatigué du néant, et ses yeux secs grattant cette fourmilière écrasée de leurs « missions » pour rendre plus agréable leurs chaînes d'esclaves, le soldat voulut sortir de sa tanière. Sa main resta figée sur le rebord de la toile, qui était en fait une vulgaire entrée soutenue par un tube de métal qui menaçait de suivre le mouvement de son corps, il ne pouvait résister aux ardeurs fluides de ce nuage cosmique, il endormait des ondes électriques et lacérait de stroboscopes rouges les plaines environnantes. Depuis la veille, rien n'avait changé, même s'il croyait voir des valses plus étalées, une traînée poudrée s'emmêlant à des fils dérobés.

« Eh, Jeong, tu fais quoi ? »

L'homme se surprit à ouvrir la bouche bêtement. Il posa son regard étonné sur trois soldats fiers et leurs gueules béates, quelques nuées abruties coulaient encore dans leurs yeux troublants. Pendant qu'ils s'engouffraient dans l'antre décavé d'obscurité, lui entama un premier pas vers l'extérieur, et sa chaussure trempa de suite dans une marre boueuse qui élança ses gouttes écloses sur le pantalon déjà ruiné qu'il portait. Il tourna sa tête vers l'intérieur en tirant un œil ennuyé vers ses compagnons ; c'étaient ceux qui s'étaient retirés des effervescences de la veille, à mater sans vergogne tous les autres militaires s'épuisant sous la pluie.

« J'vais faire un tour en ville, je sais pas si je serai là pour manger.

— Tu connais les règles, commença l'un des hommes bavards, un gamin trop grand au menton frimant pour écailler sa stupidité remarquable. Tu devrais en parler aux autres sergents au moins.

— Je serai là avant vingt-et-une heures, s'ils s'en aperçoivent vous leur direz d'attendre que je revienne. »

Jeong connaissait sa place privilégiée, et il fallait dire qu'il n'hésitait pas à en jouer. Alors quand un peu de désobéissance pouvait faire valoir ses tourments de liberté, il lui fallait absolument s'affranchir de ces horribles commissions subalternes. Les hiérarchies à échelle brisant les cieux, leurs têtes perchées dans leurs catharsis immorales et trop hautes, tout cela le rendait malade ; alors pas question de se laisser abattre sous une toile fébrile, tendue de pluie séchée.

Il s'éloigna de la tente, engagé dans ses pas fiévreux, glissant entre l'asphalte éclaté et les égouttures dégoûtant de bourbe ternie. Alors, il fut arrêté par une exclamation. C'était ce soldat toujours bâillant, de qui il avait certainement plus souvent eu le temps d'apprendre à connaître la bouche plutôt que les yeux. Il tendait une main hors de l'entrée, son treillis s'agitait dans une lueur mince, des restes d'éclats étoilés qui se mêlaient à l'heure un peu tardive.

𝐇𝐘𝐏𝐄𝐑𝐑𝐄́𝐀𝐋𝐈𝐓𝐄́Où les histoires vivent. Découvrez maintenant