Chapitre 9

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La présentation du tournoi va bientôt commencer. Aujourd'hui, le soleil brille haut et fort dans le ciel d'Imir. Après le petit-déjeuner que j'ai savouré seule, je suis retournée dans ma chambre pour me vêtir. Je porte une robe blanche qui retombe fluidement le long de mon corps. Adieu les corsets pour aujourd'hui. Des dorures ont été incrustées dans les manchettes tandis qu'une ceinture noire met à merveille ma taille en valeur.

Les domestiques ont jugé essentiel de coiffer ma crinière en un chignon relevé. Ainsi, je suis déjà un cadeau visuel pour mes prétendants. Des prétendants qui se sont tous regroupés en bas de l'estrade, prêts à en découdre avec eux-mêmes.

Mes yeux balaient un à un les prétendants. Jameson n'est pas là, c'est déjà un bon point. Darren s'est mis à l'écart des autres candidats. Assis, il me tourne le dos et ne semble guère me prêter attention.

— Votre Altesse, me permettrez-vous de vous rejoindre ?

Je sors de mes rêveries. Un jeune homme d'une vingtaine d'années se présente devant moi. Je le détaille d'un rapide coup d'œil. Ses cheveux sont noirs et épais, sa peau chocolat brille au soleil alors qu'il a revêtu une tunique bleu foncé à l'effigie de Socrenia.

— Bien sûr.

Il m'offre un sourire resplendissant en prenant place à mes côtés. Il doit faire deux fois ma taille et est aussi baraqué que mes penderies royales. Je décide de regarder devant moi pour ne pas avoir l'air insistante à le fixer de la sorte.

— J'ai entendu dire que la compétition serait rude cette année, souligne-t-il. La première épreuve sera décisive, j'en ai bien peur. Oh, pardonnez-moi, j'en oublie de me présenter. Je m'appelle Gortus de Saint-Evylier, chevalier premier de la maison Socrenia. Et si je puis me permettre, je suis prétendant à votre cœur, Votre Altesse.

Il sourit de nouveau d'un air sincère mais quelque chose cloche. Je le dévisage de nouveau et lui répond en souriant de même :

— J'espère que la chance et le courage seront avec vous, Gortus.

— De la chance et du courage, j'en aurai peut-être, mais il est évident que je concoure par pur devoir.

— Que voulez-vous dire par-là ?

Je reporte mon attention sur les autres candidats. Darren est debout maintenant, et a les yeux levés vers moi. Son expression demeure impassible et impénétrable mais il nous fixe sans aucune vergogne.

— Puis-je être sincère avec vous, Votre Altesse ? Je me sens obligé de mettre les choses au clair, sans quoi j'eus peur que vos impressions sur moi ne soient infondées au fil de la compétition.

Je lui donne une tape amicale en répliquant :

— Dites-moi tout, fidèle Gortus. Je serai la dernière à vous juger vous et vos kilos de muscles.

Il lâche un rire à mon franc-parler. Je renvoie le regard assassin que me jette Darren et me retiens de lui souffler un baiser.

— J'atteins bientôt ma vingt-septième année et mes parents ont jugé bon de me voir trouver une épouse de rang noble. Alors quand vous avez été annoncée cœur de cette année, j'ai été presque forcé de participer. Mais il va sans dire que mes goûts personnels, sans vous manquer de respect, Votre Altesse, ne sont pas de ce genre.

Il n'a pas besoin d'expliciter pour que je comprenne. Je me détourne de Darren et observe Gortus avec attention. Je lui tends mon petit doigt, ravie de voir en lui un nouvel allié :

— Votre secret sera gardé, ne vous faites pas de souci. Puisque nous sommes dans l'honnêteté, je n'ai aucune envie de me marier. Alors, pour notre bien commun, peut-être pourriez-vous me renseigner sur les autres candidats tout au long de la compétition ? De mon côté, je ferai en sorte de vous faire gagner toutes les épreuves afin que nous partagions les récompenses. Puis, à la toute fin du Jeu des Cœurs, je refuserai notre mariage sous prétexte que nous sommes plus bons amis qu'amants. Qu'en pensez-vous ?

Je reprends mon souffle, toute excitée à l'idée de mon nouveau plan. Un plan que Gortus pourrait refuser... Je le regarde, les yeux pleins d'espoir, si bien qu'il éclate de rire.

— Pitié, dites-moi que vous acceptez.

Il serre mon petit doigt du sien et j'en remercie le Ciel.

— J'accepte, Votre Altesse, avec grand plaisir. Cela devrait tenir mes parents à l'écart un bon moment, soyez-en sûrs. Je ferai mine d'avoir le cœur brisé à la fin du tournoi pour avoir des mois de répit.

Notre plan est machiavélique. Je connais à peine cet homme, mais je sais déjà qu'il vient de m'ouvrir une porte de sortie.

— Bien, Gortus. Maintenant que nous sommes liés vous et moi, pour le mois, que pouvez-vous m'apprendre de ces candidats ?

Alors, il commence à me les détailler un à un tel l'espion fabuleux qu'il est. Il me parle d'un certain Adryen qui est le puissant prince héritier d'Eol, d'un Henri qui est l'arrière-arrière petit-fils du haut-roi de Kelinthos, ou encore même d'un Javier chef d'armée et maître d'armes que rien n'empêchera de gagner.

— Et Darren ? J'imagine que vous parlez tous entre vous, que pensez-vous de lui ?

— Il ne parle pas beaucoup, affirme Gortus. Je sais seulement qu'il vient de Derington et qu'il a une maîtrise du combat remarquable pour son âge. Pour tout vous dire, il a battu Javier à l'épée le soir dernier. Javier a vu rouge et l'a menacé de se venger.

— Qui est donc ce Javier ?

Il me montre du doigt un type au crâne rasé et dont les tatouages s'étendent sur chaque parcelle de peau. Même son visage en est recouvert. Je grimace en posant soigneusement mes mains sur mes cuisses.

— Je vois. Serait-il un candidat à désavantager, selon vous ?

— Cela dépendra des épreuves, Votre Altesse. Il est agile sur les face-à-face mais je doute qu'il saura vous satisfaire sur la seconde phase du tournoi.

Je hoche doucement la tête. J'ai intercepté de temps à autres le regard de Darren sur nous et j'ignore pourquoi il nous observe avec tant d'insistance. Mais quand j'aperçois au loin la silhouette de Père, je comprends que l'heure n'est plus à l'amusement.

— Gortus, je vous souhaite le meilleur pour le tournoi. Je suis convaincue que nous formerons un binôme imparable.

Je lui souris alors qu'il m'offre un hochement de tête respectueux et l'abandonne à son siège. Je descends les marches alors que l'orchestre se met à jouer le thème officiel du tournoi et que les derniers membres de la cour s'empressent de rejoindre la tribune. Les vingt candidats sont regroupés en bas, assis l'un à côté de l'autre et je poursuis ma descente.

Or, lorsque j'arrive à la dernière marche, je vois Darren lever la tête vers moi. Assis à l'extrémité du banc, et donc juste à quelques centimètres de moi, mon cœur s'emballe furieusement lorsque je réalise qu'il ne me quitte pas des yeux.

Je le dépasse et mon corps ne se calme toujours pas. Je sens toujours mon dos brûler et devine que la plupart des regards sont braqués sur moi.

Je rejoins la tribune où Père siège, et m'empare du micro avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit.

— Cher peuple, chers candidats, je vous épargne là l'un des discours interminables qu'aurait eu à vous offrir mon père. Le cœur de ce tournoi prend enfin la parole pour souhaiter aux vingt candidats le courage et la persévérance dont ils auront besoin s'ils veulent parvenir à m'émouvoir, un temps soit peu.

Je leur fais un sourire diabolique alors que certains retiennent un rire. Ils ignorent que je ne plaisante pas du tout. Derrière moi, Père est à deux doigts de s'arracher les derniers cheveux qu'il lui reste puisque je ne suis pas supposée prendre la parole.

J'aperçois dans la tribune Anthos assis aux côtés de Freya et Hedge. Les deux me font des pouces en l'air tandis que Freya garde toujours son air assassin au visage.

— La première épreuve, le combat d'épées, se décomposera en trois manches séparées chacune d'une pause de dix minutes. Il sera l'heure pour vous de montrer de quoi vous êtes capables, chers prétendants, puisque le futur prince d'Imir doit être capable de manier l'épée à la perfection. La récompense sera attribuée à la fin de l'épreuve au gagnant.

Je fais une pause, mes yeux croisant ceux de Darren qui me paraît bien trop sûr de lui puis j'ajoute :

— Puisse le Jeu des Cœurs vous offrir ce dont vous rêvez ! Et que le meilleur gagne.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐂𝐨𝐞𝐮𝐫𝐬 | 𝐓𝐎𝐌𝐄 𝟏Où les histoires vivent. Découvrez maintenant