Résistante !

Chapitre 1 : Un papillon dans un bocal (partie 1/2)

Dix mois plus tôt

Le son de l'alarme perce le voile du silence, et mes yeux s'ouvrent sur la pièce immaculée. Je reste allongée un instant, le plafond blanc étendu au-dessus de moi. Je me lève avec une lourdeur qui n'a rien à voir avec le sommeil. Mes pieds touchent le sol froid et j'entre en mode automatique, suivant le rythme orchestré par le Conseil.

Méditation. Dix minutes pour recentrer mon esprit. Je ferme les yeux et j'essaie de calmer le flot incessant de mes pensées, mais elles dansent hors de portée, insaisissables et rebelles. Exercice physique. Une série de mouvements soigneusement calculés pour maintenir mon corps en forme optimale.  Petit déjeuner. Un mélange nutritionnellement équilibré qui goûte toujours de la même manière, indépendamment de la couleur ou de la texture du jour. C'est de la nourriture, mais sans plaisir. Tout est en ordre. Tout est prévu. Tout est parfait. Du moins, c'est ce qu'ils veulent que je pense.

Mais alors que je m'habille de mes vêtements uniformément neutres, je regarde mon reflet dans le miroir. Les yeux  qui me regardent en retour sont ceux d'une étrangère. Cette femme qui suit les règles, qui se conforme à la société... Elle n'est pas moi. Pas vraiment. Je veux rire, pleurer, crier, mais tout ce que je fais, c'est soupirer. Un petit son étouffé qui est avalé par le silence de l'appartement. Une rébellion silencieuse.

L'IA s'active alors que je finis de manger. Sa voix, douce et sans affect, emplit la pièce. "Lena," dit-elle. "Votre tâche pour aujourd'hui consiste à effectuer une évaluation des compatibilités pour le nouveau lot de participants. Veuillez vous rendre au Centre de Couplage à 8 heures précises."

Je lui réponds d'un simple "Compris", mon ton aussi vide que le sien. C'est un dialogue que nous avons chaque jour, une conversation unilatérale entre une machine et une humaine. Je sais que l'IA n'est qu'un intermédiaire, un outil que le Conseil utilise pour garder un œil sur nous. Il y a quelque chose d'énervant à être surveillée en permanence, à être évaluée par une entité qui ne connait rien de l'humanité.

Pendant que je me prépare, l'IA continue de me rappeler mes devoirs envers la société. La fidélité envers le Conseil. La conformité aux règles. L'acceptation de mon âme sœur désignée. Des ordres qui, je le sais, sont conçus pour maintenir l'ordre et le contrôle.

À l'extérieur, je suis une citoyenne modèle, acquiesçant à chaque directive. Mais à l'intérieur, c'est une autre histoire. Chaque directive de l'IA, chaque mention de mes "devoirs", ne fait qu'attiser mon désir de résistance, un brasier invisible qui grandit avec chaque mot prononcé

Je quitte mon appartement avec un dernier regard en arrière. Les murs blancs, la propreté impeccable, la présence omniprésente de l'IA... tout cela forme une cage.

Je marche dans les rues impeccables de la ville, chaque bâtiment, chaque arbre parfaitement ordonné, jusqu'à ce que j'atteigne le Centre de Couplage. Un grand bâtiment, imposant et froid, qui se dresse comme un monolithe parmi la propreté uniforme.

A l'intérieur, c'est une ruche d'activité. Des couples , leurs visages illuminés par l'anticipation sont venus ici pour rencontrer leur âme sœur, celle que le Conseil a choisie pour eux. Chaque couple parfaitement assorti, chaque union soigneusement orchestrée.

Je suis celle qui fait tourner les rouages de cette machine bien huilée. Mon travail consiste à évaluer les compatibilités, à trier les données, à faire coïncider les âmes sœurs. 

Concrètement, je travaille dans les profondeurs du Centre de Couplage, appelé le "centre des opérations" un lieu où l'humanité est transformée en un torrent de données. Les machines sont constamment à l'affût, prêtes à absorber les informations de chacun. Chaque donnée, chaque fragment d'information, a une place spécifique dans cette tapisserie de la vie.