— Il t'arrive d'envisager l'avenir avec angoisse ? De sentir ton corps gémir sous la pression imaginaire que tu lui imposes déjà ?
— Oui, je pense.
— Arrête de mentir pour essayer de me consoler, Lysandre, je ne vais pas pleurer.
— Désolé, tu es si rationnel que parfois, j'en oublie que même les automates ont des sentiments mécaniques qui vrillent quelques fois un boulon que l'on entend tomber dans leur cage de métal comme un chant d'oiseau tératoïdes.
— Ah !
— Désolé, désolé. Parfois, j'oublie que tu ressens des doutes aussi, tu es si muet quand il s'agit de tes problèmes. Alors que regarde ! On ne fait que parler des miens !
— C'est juste que... Je les trouve stupides.
— Rien n'est vraiment stupide.
— Si quelques fois les pigeons.
— C'est parce que tu n'es pas un pigeon, tu ne peux pas comprendre.
— C'est drôle, tu fronces un peu les sourcils lorsque tu es agacé, la ridule qui se forme ressemble à un cœur.
— Suffit ! Tes problèmes !
— C'est que, tu vois, parfois, j'imagine chaque instant de ma vie avec tellement de précisions qu'il s'inscrit dans ma peau comme une brûlure indélébile. J'ai déjà l'impression d'avoir tout vécu, d'avoir tout expérimenté. J'ai l'impression d'avoir déjà vécu mille vies différentes.
— Les livres ne doivent pas aider.
— Ils n'aident pas du tout.
— Et le monde semble perdre de sa saveur.
— C'est ça, aussi. Tu deviendrais presque télépathe Lysandre.
— Seulement dans ta tête alors Philomène.
— Ha ! Ce que je veux dire, c'est qu'il ne me paraît plus intéressant de subir tant de souffrance pour vivre réellement après. Vivre vraiment. J'ai l'impression que je vais devoir me crever à réaliser un avenir que j'ai déjà imaginé et vécu dans ma propre tête. À quoi bon vivre une deuxième fois ?
— C'est bien parfois d'être un caillou, rester là à contempler silencieusement le monde et les étoiles.
— Tu n'es pas un caillou Lysandre.
— Je sais. J'ai peur de l'avenir aussi, je ne veux pas que les choses changent, parfois. Non, souvent.
— À un moment, il arrive que vivre et mourir aient la même saveur tant ils apportent un tel sentiment d'inconfort. La mort a au moins le mérite d'être silencieuse.
— Mais qui voudrait disparaître ? Ne plus exister dans l'inconcevable sentiment que même sans toi le monde tournera toujours très bien autour du soleil. Que tu es insignifiant, que tout le monde t'oubliera.
— Tu es censé m'aider.
— C'est ce que je fais. Quitte à vivre dans un monde sans saveur, autant faire quelque chose qui t'empêchera d'être oublié en lui créant ta propre sapidité. Ho, je t'en pris ne fait pas cette tête, on dirait un oisillon fripé sur le point d'inverser le cycle de la vie pour retourner à l'état d'embryon !
— On oublie parfois les gens qui utilisent leur propre sang pour se rubéfier les lèvres, et j'oublie aussi à quel point mes larmes pusillanimes ont ce goût de métal rouillé.
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Dialogisme
PoetryPhilomène aime Lysandre, c'est son monde. Mais Lysandre est artiste, son monde à lui, est univers. •| Dialogue en prose, vous pouvez dire poésie. Suivi de "Annexe" : "Tout ce bordel prolifère comme des cafards, ça grouille et ça enfle, le crâne se d...