- Et toi pourquoi tu lis ?
- Je lis ?
- Oui. Tu vis tellement le nez dans tes bouquins que tu ne me réponds qu'en écho. Il faut du culot pour me mettre en sourdine !
- Mh... Oui sans doute.
- Eh puis mince ! Zut et flûte ! Suffit, je rage, je bouillonne, j'en tremble ! Tu me fais souffrir d'une si vive impuissance que j'ai l'impression d'en mourir ! Tu comprends ? Non, tu ne comprends pas. Donne-moi ça !
- Non ! Rends-le-moi ! Donne-moi mon livre ! Quaeso ! Quaeso ! Quaeso !
- Je suis trop grand ou bien tu es trop petit ? Je te laisse choisir, mais tu n'atteindras pas ce livre.
- Pourquoi..? Tu le lèves si haut au-dessus de ta tête qu'on a l'impression que tu voudrais qu'il atteigne le firmament, ta haine te porte-t-elle si haut dans le ciel ?
- Regarde-moi. C'est tout ce que je te demande, regarde moi et je te rendrai ton livre.
- Voilà, je te regarde. Je vois ta bouche tordue et tes yeux tristes, je vois tes sourcils implorant et ton front fatigué d'être en colère, je vois ton nez humide et tes paupières qui retiennent leurs larmes. Voilà, je t'ai vu. Rends-moi mon livre.
- Assez, je souffre. Tu me fais tellement souffrir avec ton livre. Essaie de me regarder avec ton âme plutôt que tes yeux !
- Mon livre, quaeso. Mon livre, et je te regarderai comme tu le voudrais. Rends-le-moi. J'en mourrais, rends-le-moi.
- Ah ! Tu te prosternes pour un livre ? Et tu refuses de m'accorder un morceau de ton âme ? Mais je t'aime moi aussi ! Si je te donne ce livre, tu existeras ailleurs, tu vivras ailleurs, et ailleurs, c'est loin de moi ! Mais moi, c'est avec TOI que je veux vivre ! Pas seulement avec une coquille vide partie ailleurs.
- Mon livre, je suffoque. Quaeso.
- Et tu me supplies encore. Ah ! Ah ah ah ! Et si je saisissais tes épaules pour te secouer si fort que je te déchirerais en deux, que tu t'écraseras sur toi même comme une aile de papillon froissée, que tu cesseras quelques secondes de pouvoir accrocher les lettres, les mots, les phrases, pour te perdre dans ma violence. Et si je te secouais ?
- Quaeso.
- Réponds au moins : pourquoi lire au point de s'oublier ? Toi et les autres ? Pourquoi lire ?
- Ah.
- Réponds ! Pourquoi lire ?!
- C'est évident, tu ne crois pas ?
- Évident ? Et voilà qu'il daigne aligner des mots, ce ne sera pas pour moi, mais pour son livre. Soit ! Si c'est si évident, répond !
- Je lis pour ne pas vivre, enfin.
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Dialogisme
PoesíaPhilomène aime Lysandre, c'est son monde. Mais Lysandre est artiste, son monde à lui, est univers. •| Dialogue en prose, vous pouvez dire poésie. Suivi de "Annexe" : "Tout ce bordel prolifère comme des cafards, ça grouille et ça enfle, le crâne se d...