Chapitre 41

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Dans cet ordre d’idées, l’hallucination demeure ni plus ni moins qu’une folie momentanée dont on garde la mémoire lorsqu’elle a disparu.

Mais je me posais les questions suivantes : Qu’en est-il lorsque l’hallucination ne disparaît pas ? Ou lorsqu’elle est récurrente ? Dans ce cas, peut-elle être classée parmi les maladies incurables ou être simplement prise pour la réalité ? Mais, aussi, était-ce vraiment une hallucination ? N’était-ce pas plutôt un rêve ?

Que croire ? Que ne pas croire après un pareil événement ? Où finissait le réel, où commençait le surnaturel ? Qu’avais-je vu ? Qu’avais-je cru voir ? Ma démarche était saccadée. Je me jetais aux idées folles, à tout ce qu’il y a au monde de plus absurde, m’égarais à travers un champ d’hypothèses, ne sachant pas à laquelle m’arrêter.

Je me fourrais dans la tête toutes les impossibilités ; mais, après un moment, je pus me résoudre au fait qu’il fallait cesser de réfléchir parce que j’avais le pressentiment que je deviendrais peut-être malade si je poursuivais ces réflexions. Ainsi, n’ayant trouvé aucune explication, j’avais fini par abandonner ce casse-tête comme on abandonne dans sa bibliothèque un livre dont il est difficile de comprendre le contenu.

Je m’étais étendue au lit, me sentant étrangement calme malgré la singularité de ce que je venais de vivre. Tout juste allongée, je voulais continuer indolemment à rechercher les causes de cette illusion, lorsque ma pensée, se laissant aller à l’agréable somnolence nocturne, s’endormit ou, pour mieux dire, s’arrêta soudainement comme l’aiguille d’une horloge dont le ressort casse.

Un sommeil de plomb s’était abattu sur moi. Pour la première fois depuis bien des nuits, je m’étais endormie d’un sommeil lourd et profond comme si je venais soudainement d’être mise sous somnifère.

De toutes les manières, il n’y avait pas mieux que de me coucher après une telle rencontre, accompagnée de belles sensations qui m’avaient conduite jusqu’au bout de mes forces. »

- Excusez-moi, dit Madame Rose en s’adressant à nous, s’interrompant encore une fois de plus.

- Excusez-moi pour tous ces détails ! Malgré que certains peuvent les trouver futiles, ils sont quand même nécessaires pour expliquer ce que je ressentais, et préparer l’étrange aventure qui fera la suite.

Chacun d’entre nous la rassura qu’il écoutait avec un grand intérêt ; et que ces détails, loin d’être soulants et futiles, ajoutaient plutôt un grain de sel à l’histoire.

Notre sollicitude toucha la narratrice et elle poursuivit son récit avec un certain entrain qui montrait bien qu’elle venait de commencer les points importants :

«- Je m’étais profondément endormie d’un sommeil sans rêves jusqu’au matin.

J’imagine que Kristen était venue plusieurs fois dans ma chambre, sur la pointe des pieds, afin de voir si je dormais encore ; et elle m’avait probablement vue dormir en prenant ma position préférée : allongée sur le côté gauche, la joue appuyée sur une main.

Sans doute qu’elle se demanda ce qui pouvait bien me retenir si tard au lit, moi qui normalement me lève très tôt et dont le sommeil est naturellement réglé comme une horloge. Voyant que je risquais d’être en retard, elle me toucha quatre fois l’épaule pour me réveiller.

Quelques secondes s’écoulèrent pendant lesquelles s’effaçaient de mon esprit ces légers nuages qui survivent un instant au sommeil ; puis, en ouvrant grandement les yeux, je vis que les premiers rayons de soleil s’étaient déjà glissés dans la chambre, jusque sur le lit, passant à travers la fenêtre et les interstices des rideaux.

À cet instant, un faible sourire se dessina sur mes lèvres puis, me retournant complètement, le poids de mon corps reposant maintenant sur mon coude, je regardai Kristen avec étonnement, tout en me frottant les yeux avec une grimace comme font les gens qui sortent d’un rêve et qui rappellent leurs idées.

Je la saluai ensuite et lui demandai quelle heure était-il.

Dehors, le ciel était beau et pur. C’était presque une belle matinée. Le beau soleil de cette saison de pluie inondait la chambre. Sa vive lumière entrait à flots à travers les petits carrés des vitres de fenêtres.

Les oiseaux chantaient entre les feuilles du rosier grimpant, les pas des ouvriers se rendant au travail retentissaient dans la rue et les souffles du vent provenant des collines erraient silencieusement autour des maisons, comme s’ils craignaient de réveiller d’autres grands dormeurs.

- Je t’ai entendue monter tôt pour dormir ; et pourtant, j’ai failli te jeter un seau d’eau fraîche dans ton lit pour te réveiller, me dit Kristen.

D’abord, je m’étais tue. Non pas que j’étais sans réponse, mais parce que mon aventure secrète ne devait être révélée à personne, même pas à ma meilleure amie. Après, persuadée qu’il était permis de mentir quand l’intention sanctifiait le mensonge :

- Eh bien, voilà comment tu te trompes. En montant dans la chambre, j’ai rangé mes affaires jusqu’au petit matin. Il y avait un de ces bazars ! Imagine que j’ai même retrouvé Glory sous les décombres.

Ces paroles étaient toutes naturelles. Je les avais dites en m’étonnant moi-même de mentir aussi facilement. Je me sentais soutenue, poussée par une force invisible et revêtue d’une impénétrable armure de mensonge.

ROSE MONDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant