Chapitre 49

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Jamais un mot imprudent ne m'échappait même lorsque je prenais part à quelques soirées entre collègues de travail. Lorsque je buvais, du reste, très modérément, je savais tout de même me taire face aux indiscrets qui se permettaient la moindre allusion à mes affaires de cœur.

Chaque fois que je voulais en parler, il me semblait que j'avais un sceau brûlant posé sur les lèvres ou que j'allais révéler un secret dont j'étais l'incorruptible gardienne. Mais mon esprit demeurait quand même calme ; et je ressentais profondément le plaisir d'avoir une double vie que je vivais sans qu'aucune personne ne se rende compte qu'à la nuit tombée, lorsque je m'endormais, je devenais l'amante d'un homme qui, sans aucun doute, n'était plus humain.

Et si Éden n'était plus humain ? Qu'est-ce qu'il était ? Me demanderiez-vous ! Quel genre de créature sous l'apparence d'un homme était-ce ? Y avait-il une séparation entre son corps et son esprit ? Était-ce son esprit qui errait dans ce monde et apparaissait par moment dans celui des vivants ? Tandis que son corps gisait quelque part dans un caveau froid et sombre, à moitié mangé par des vers et le visage défiguré ? Je n'en savais rien.

En abandonnant la place de l'auteure et en prenant celle du lecteur ou de l'auditeur, je crois que ma curiosité me pousserait à m'assurer s'il y avait quelque chose de réel, mais surtout de palpable dans cette aventure.

Oui, il y'en avait. Et pas qu'une seule.

Nombreux sont les faits qui faisaient à ce que j'y accorde une part de réalité. L'un d'entre eux est que tout ce que je vivais dans mes rêves se manifestait dans la vraie vie.

Pour commencer, au réveil, j'avais l'impression que les palpitations du cœur d'Éden continuaient de résonner dans la chambre vide. Ensuite, en soulevant ma couverture, je remarquais que j'avais sur moi tout ce qu'il m'offrait en rêve : que ce soient les chaussures, les vêtements, les colliers ou les bracelets... Même les parfums de sa peau, de sa chevelure et de ses habits s'attardaient toujours sur mon corps.

Vous souvenez-vous du premier collier qu'il m'avait offert la deuxième nuit qu'il était apparu dans ma chambre ? Ce collier, au réveil, je l'avais retrouvé autour de mon cou. Je l'y avais tiré et je l'examinai.

Il me semblait qu'il y avait des lettres gravées à l'arrière du pendentif. En observant plus attentivement, j'avais remarqué qu'il s'agissait de deux lettres, un R et un E. Sûrement que ces lettres se rapportaient à nos prénoms : Rose et Éden. Et juste en dessous se lisaient ces autres mots en lettres gothiques : Sempr'ab ti, qui veulent dire : Toujours avec toi.

Il y avait de nombreux faits matériels, indéniables, qui me prouvaient que ce que je vivais la nuit était bien plus que des rêves merveilleux ; des faits qui faisaient en sorte que je ne pouvais tomber dans le doute, car je voyais de mes propres yeux les preuves, ainsi que les gages de la présence d'Éden. »

Après avoir dit cela, Madame Rose avait bien vu qu'elle n'avait aucunement convaincu un auditoire qui n'était pas facile à convaincre. Un auditoire qui restait impassible à la façon des gens qui admettent tout ce qu'on leur dit, mais admettent avec un esprit méfiant.

Ainsi elle se contenta d'ajouter :

"- Eh bien, apparemment vous êtes difficiles à convaincre. L'ange de la justice en personne pourrait apparaître à ce moment pour vous prouver la véracité de mes paroles que vous ne le croirez pas ; mais je ne désespère pas d'y arriver ! Je me rends bien compte de l'étrangeté de mon histoire et du doute qu'elle peut bien créer en vous. Et puisque vous ne voulez pas vous fier à mes paroles, messieurs, tenez-vous aux faits !"

Et, ce disant, Madame Rose glissa légèrement les doigts sous sa blouse, au niveau du buste. Elle y saisit un collier sur lequel était accroché un pendentif, le prit comme une fille craintive prend un ver de terre dans de la boue ; et, l'amenant doucement, elle monta le pendentif à la hauteur de ses yeux, puis elle nous le montra comme la plus belle chose du monde à tous, concentrés que nous étions.

L'intérêt était redevenu perceptible et tendu à toutes les physionomies. Ceux qui repoussaient la véracité de l'histoire avaient maintenant sous les yeux la preuve qu'elle n'était pas insensée.

Mon Dieu ! Comme il était beau, ce pendentif ! Jamais je n'avais vu une pierre aussi étincelante que celle qui y était accrochée. Elle forçait les plus myopes à la regarder. Madame Rose l'adora un instant du regard ; puis, après l'avoir posé pieusement sur ses lèvres, elle remit ensuite le pendentif, le cacha, le laissa de nouveau retomber tout près de son coeur avec la précaution d'une bijoutière qui remet son joyau d'une valeur inégalée dans son tiroir, se croyant en compagnie des voleurs très habiles.

«- Aussi, je n'étais plus vierge ! reprit-elle d'une voix où chacun pouvait déceler de la honte ainsi qu'une grande timidité. Avant Éden jamais un homme ne m'avait encore touchée, ni même personne n'avait effleuré ou vu mon corps. Au monde, je cachais tous les trésors de ma beauté ; mais, à Éden, je me livrais nue et tout entière.

En femme qui aimait son amant, bien des fois nous avions eu à copuler ; et dès la première fois, à mon réveil, j'avais remarqué les signes dus à la pénétration et j'en gardais aussi les sensations.

En effet, mon dessous était de couleur sang juste au niveau de mon intimité et ma robe de nuit était toute aussi tachée de rouge. En outre, en observant bien, un léger filet de sang, rougissant et souillant le drap immaculé sur lequel j'étais allongée, avait coulé tout le long de ma cuisse durant la nuit, écoulement causé selon toute probabilité par l'acte sexuel que j'avais accompli avec mon amant.

Ne l'envoulez pas ! C'est moi-même qui étais allée vers lui, qui m'étais jetée à son cou, m'étais précipitée vers ma destinée, poussée par mon propre désir. Ceci dit, saisissez donc que tout ce que je vivais était bien réel, que ce n'était pas une erreur de mon esprit ou un rêve créé par mon imagination. J'étais réellement sous le poids d'un événement surnaturel.

ROSE MONDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant