Chapitre 39

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En posant cette question, ses yeux me regardaient nettement, fixement, sans remuer. C'était un ordre. Et moi, faible que j'étais, je tremblais d'admiration devant la puissance de sa volonté, mais je ne me courbais pas encore ; je ne voulais pas montrer que j'étais déjà vaincue.

- Après demain ? Cela irait ?, dis-je.

- Pas après demain, c'est demain que je souhaite que l'on se voie, insista-t-il.

Je bougeai légèrement la tête afin d'accepter sa proposition. Et nos lèvres s'unirent encore une fois de plus.

- Ma chère Rose, il faudrait que je m'en aille maintenant. Tu vas énormément me manquer durant ce court moment. Sois heureuse en attendant et fais de beaux rêves, même si ces rêves ne seront jamais à la hauteur de ce qui t'attend dans le monde où tu me suivras demain, dit-il après s'être penché pour me faire une accolade ; à laquelle, du reste, en me redressant, je me prêtai de mon côté de la meilleure grâce du monde.

Il me noua les bras autour, se serra fortement contre moi. Je fermai les yeux et enfouis mon visage dans le creux de son épaule. J'avais ressenti beaucoup de plaisir dans ce geste ; mais, malheureusement, ce rapide entretien, fait à voix basse et la rougeur au front, prit bientôt fin.

Ses lèvres se posèrent longuement sur ma joue rougissante qui se trouvait toute proche d'elles. Il ouvrit doucement ses bras, et je m'étais à nouveau étendue sur le lit. Il me regarda encore, toujours en souriant. Puis, il s'avança, glissa vers le tableau la tête constamment tournée vers moi, tout en me faisant de la main un geste d'au revoir.

Arrivé face au portrait, la surface étant devenue molle, comme liquide, ondula et Éden y entra. Lorsqu'il traversa complètement, avant que le portrait ne se solidifie, les variations s'effacèrent d'abord graduellement comme les ondes que fait une pierre qui tombe dans l'eau et qui s'élargissent toujours jusqu'à ce qu'elles se confondent tout à fait et forment une surface lisse comme celle du marbre.

II laissa comme une lueur après lui. C'est à cet instant que je fus comme réveillée. L'air frais de la nuit qui était venu me frapper au visage me rendit bientôt le sentiment de la réalité. Je quittai l'état dans lequel j'étais, sortis du rêve où je vivais ces choses splendides. Mon premier réflexe fut de regarder le portrait, mais je ne vis rien de différent.

Je regardai ensuite sous mon lit, comme une enfant, me tâtai pour voir si je n'étais toujours pas dans un rêve et portai de nouveau mon regard autour de moi afin de m'assurer que ce n'était pas une situation extraordinaire. J'écoutai aussi le bruit qui m'entourait et je n'entendis rien d'autre que celui du vent qui glissait doucement sur le mur et sur les toits, qui faisait légèrement craquer les arbres et leurs branches.

Était-ce possible ? Éden, cette personne que je croyais ne jamais revoir venait d'apparaître dans ma chambre ! Tout ceci tenait du prodige, paraissait incroyable, invraisemblable, inadmissible au bon sens.

Il n'y avait rien pour m'assurer que son apparition n'avait pas été qu'un simple rêve de quelques instants ; rien, sauf la mousse qui s'était affaissée aux pieds de mon lit. En y repensant, je me rappelais que c'était bien à cet endroit qu'Éden s'était assis dans mon rêve.

En plus, en passant ma main dans le creux qui s'y était fait, j'avais senti que l'endroit était encore tiède. Il n'y avait pas de doute, quelqu'un venait de s'y mettre ; mais c'était loin d'être convaincant, car ça pouvait toute aussi être Kristen qui était venue me voir et s'était assise à cet endroit du lit. J'avais peut-être rêvé à moitié, et n'avais pas ainsi reconnu son visage.

Vous savez déjà que ce rêve, cette hallucination, apparition ou je ne sais quoi d'autre, ne m'avait pas effrayée. Tout ceci m'inspirait une émotion à laquelle je n'essayerai pas de trouver un nom. Je dirais juste que ce n'était pas de la peur ; non, c'était plutôt une espèce de surprise mêlée de curiosité.

Tout, cette nuit-là, devait prendre des teintes fantastiques à mes yeux ; mais j'étais résolue à utiliser tous les moyens pour arriver à mes fins. Pour commencer, il me fallait sortir de la chambre afin de me convaincre que je nageais maintenant en pleine réalité.

Dans le but de rassurer ma propre conscience, je voulais procéder à une petite investigation en vérifiant si tout était normal. N'ayant rien perdu de mon énergie physique et morale, j'avais agi avec sang-froid.

Je m'étais donc levée du lit, lentement ; mais mon cœur battit à tout rompre quand je vis une série d'empreintes humides de pas qui commençaient à sécher sur le sol carrelé. Des empreintes que tout de suite je reconnus comme étant celles d'un homme, car elles avaient un talon large et un bout légèrement pointu.

Maintenant, je ne doutais plus qu'une personne soit vraiment venue ; et, à moitié dans un état de stupeur rêveuse, je suivis les empreintes. Elles commençaient au chevet de mon lit et allaient se perdre juste en dessous du portrait. La certitude que ç'aurait été Kristen s'était évanouie, car il n'y avait aucune empreinte imprimée allant dans le sens de la porte. La taille des empreintes était aussi trop grande pour être celles d'une femme.

C'était un mystère que j'allais avoir du mal à pénétrer. Dans cet état des choses, je pris une décision. Je m'avançai d'un pas assez délibéré vers la porte que j'ouvris si doucement que les gonds n'émirent pas le moindre grincement, et je quittai la pièce.

Je me mis en marche dans la maison à l'aide de la lampe torche de mon téléphone. En me déplaçant, la lumière provenant de celle-ci n'illuminait que les parties que je parcourais, sans jamais tout éclairer. J'étais donc dans une obscurité complète, ayant les jambes seules éclairées par la lumière provenant du téléphone.

Cela créait un singulier jeu de lumière qui établissait parfois une lutte entre la lueur de la torche et les rayons de la lune qui passaient par moments à travers les fenêtres dont les rideaux n'étaient pas entièrement tirés.

ROSE MONDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant