Après ce cours, Brayan m'a littéralement ignoré. Pas un regard, pas un mot, pas même un soupir dans ma direction. J'ai attendu, encore et encore, un signe de sa part. Une esquisse de sourire. Un froncement de sourcils. N'importe quoi qui aurait pu dire : « Je te vois. » Mais non. Rien. Le silence, glacial et insupportable, s'est installé entre nous comme une muraille invisible. Et je me suis retrouvé seul, encore une fois.
Je crois qu'il m'en veut d'être rentré chez moi hier soir. Je n'aurais peut-être pas dû partir aussi brusquement. Mais je ne savais pas quoi faire d'autre. Mon cœur était trop lourd, ma tête trop pleine. J'avais besoin de fuir. De respirer. Mais voilà, aujourd'hui, c'est comme si j'avais détruit ce qu'il y avait de plus fragile et précieux entre nous. Brayan... Il était la seule personne depuis des années à vouloir vraiment être mon ami. Le seul à m'avoir tendu la main, à avoir insisté, malgré mes silences, malgré mes maladresses. Et moi, j'ai tout gâché. Encore.
Je sens une douleur vive dans la poitrine. Une brûlure sourde, profonde, qui pulse à chaque battement de mon cœur. Une douleur qui ne crie pas, mais qui ronge en silence. J'ai envie de pleurer, de laisser tomber ce masque que je porte tous les jours. Mais je sais que ça ne servirait à rien. Alors je ravale mes larmes. Je serre les dents. Je baisse les yeux. Je fais ce que je sais faire de mieux : me taire.
Et comme si ça ne suffisait pas, nous allons bientôt devenir colocataires. Brayan et moi. Dans ce petit appartement qu'on a trouvé à deux, en rêvant de liberté et de soirées à refaire le monde. Est-ce que c'est un signe du destin ? Est-ce qu'on est censés se retrouver, malgré tout ? Ou est-ce que c'est juste une mauvaise farce de la vie, une façon de me rappeler que le bonheur me file toujours entre les doigts ?
La journée s'étire, lente et épuisante. Les cours s'enchaînent, mais je n'écoute rien. Je regarde l'horloge, je regarde les gens parler sans les entendre. Mon esprit est ailleurs, figé sur le visage de Brayan, sur son regard qui m'a fui toute la journée. Mon corps est là, mais ma tête, elle, est partie loin. Et mon cœur, lui, il saigne.
Quand enfin la cloche sonne la fin de la journée, je prends mon sac et je m'échappe. Je marche vite, presque en courant, comme si fuir le campus allait effacer tout ce que je ressens. Je rentre chez moi. Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, la musique à fond. Heureusement qu'elle est là, elle. La musique. C'est la seule chose qui arrive encore à m'apaiser un peu. Les notes me bercent, m'enveloppent, me tiennent compagnie quand tout le reste s'écroule.
J'espère que mon père n'est pas là. Je n'ai pas la force d'affronter son regard, ni ses silences. Il me fait peur. De plus en plus. Depuis quelques semaines, quelque chose a changé en lui. Je ne sais pas quoi, mais c'est là, dans sa façon de rentrer sans bruit, dans ses absences soudaines, dans ses colères qui montent sans prévenir. Hier soir, il est parti d'un coup, sans un mot. Puis il est revenu tard dans la nuit, comme si de rien n'était. Je ne comprends pas. Et ça m'angoisse.
Le vent souffle doucement sur mon visage. Il est frais, presque doux. Je ferme les yeux un instant. Et je réalise que je ne ressens plus rien. Ni joie, ni colère, ni même tristesse. Juste un vide immense, silencieux, engourdissant. Comme si toutes mes émotions s'étaient évaporées. Il ne reste rien. Rien que moi, seul, et ce grand néant à l'intérieur.
Quand j'arrive enfin devant la maison, mon premier réflexe est de regarder si la voiture de mon père est là. Mais ce n'est pas la sienne. Ce n'est pas sa vieille berline grise. C'est une Jeep. Une Jeep bleu azur, rutilante, imposante. Je fronce les sourcils. Je ne la connais pas. Et je n'aime pas ça.
Je monte les marches du perron, lentement. Mon cœur s'accélère. Quelque chose cloche. J'entre. L'air est étrange, plus lourd que d'habitude. À l'entrée, les chaussures de mon père sont là. Mais à côté... une autre paire. Des chaussures de femme. Élégantes. Soignées. Inconnues.
Je reste figé une seconde, les yeux rivés sur ces chaussures étrangères. Puis j'entends des voix, venant du salon. Des rires étouffés. Une conversation. Je m'avance, sans réfléchir, comme poussé par une force invisible.
Quand j'entre dans le salon, mon monde s'arrête.
Ils sont là. Mon père. Et une femme. Proche de lui. Trop proche. Une main sur son bras. Un regard complice. Et elle... Elle me regarde. Droit dans les yeux. Elle ne détourne pas le regard. Elle me fixe avec une intensité qui me glace le sang.
Et je comprends.
Ma respiration se coupe. Mon corps se fige. Des frissons me parcourent des pieds à la tête. Mon cœur cogne violemment dans ma poitrine. Je ne peux pas parler. Je ne peux pas bouger.
Cette femme... c'est ma mère.
« Ah, te voilà, » dit mon père avec un sourire. Un sourire, bon sang. Comme s'il m'annonçait une bonne nouvelle. « Ta mère est de retour. »
Non. Non, ce n'est pas possible.
Ma mère ? Ma mère ne peut pas être cette femme. Ma mère, c'est celle qui est partie. Celle qui nous a abandonnés. Qui m'a laissé seul avec un père brisé et des silences lourds comme le plomb. Elle n'a pas le droit de revenir. Elle ne peut pas faire ça. Pas après tout ce temps. Pas après tout ce qu'elle a fait.
Je suis incapable de répondre. Ma gorge est nouée. Mes mains tremblent. Je ressens tout et rien à la fois. C'est comme si une tempête se déchaînait en moi, mais qu'aucune émotion ne parvenait vraiment à sortir. Tout est bloqué. Tout est confus. J'ai envie de hurler. De frapper. De m'effondrer.
Elle me regarde encore. Froidement. Presque avec mépris. Puis elle lâche, agacée :
« Même pas un bonjour, apparemment ? »Sa voix me donne envie de vomir.
Mais je ne dis rien. Je ne lui répondrai pas. Je ne lui offrirai pas ce plaisir. Je reste là, debout, le cœur en lambeaux, à subir leur présence, leurs sourires hypocrites, leur petit théâtre grotesque. Et je pense à Brayan. À sa main que j'ai laissée filer. À tout ce que j'ai perdu. À tout ce que je vais encore perdre.
Je les déteste. Tous les deux. Et peut-être que, quelque part, je commence aussi à me détester un peu.

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Sauve moi
RomanceÀ dix-sept ans, Tyler tente de survivre dans un quotidien étouffant, pris entre le harcèlement brutal de ses camarades et l'indifférence cruelle de ses parents. Miles, son principal bourreau, ne voit en lui qu'un être faible et insignifiant. Un jour...