Chapitre 1

17 1 0
                                    


Il aurait pu lui dire non. Il aurait tout simplement pu le regarder droit dans les yeux, lui dire qu'il se sentait bien, heureux, mais la vie qui s'offrait à lui ne lui suffisait pas. Non, Jayden n'était pas de ces hommes qui aimait se contenter du peu, il voulait plus, toujours plus, et encore, jusqu'à frôler le gavage mental, le surplus d'évènements. Alors il lui avait tendu la main, plongé dans le noir le plus certain. Il ne pouvait pas mourir, il ne pouvait pas disparaitre. Pourquoi l'aurait-il fait ? Quel gâchis pour l'humanité. Alors dans un dernier soupire il se laissa partir. Son sang coulait au compte-goutte, s'échappant de ses deux trous difformes qu'on venait de lui faire dans la chaire, juste à l'endroit où la jugulaire coule, cet homme, cette chose, ce monstre se nourrissait à la source. Il n'avait pas peur. Non, il ne pouvait croire en ces choses mais croyait naïvement à ce qu'on venait de lui promettre. Laissant une dernière pensé s'échapper de son cerveau. Il se disait que tout ceci n'était pas réel, ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel. Je vais mourir... Like anyone else. 

Ou pas. Tirant une dernière bouffée sur sa cigarette, Morgane se passe nerveusement une main dans les cheveux. Si elle s'écoutait elle se serait sans doute donné des baffes. Pourquoi écrire une telle histoire, c'est ridicule. Qui lirait ça, un vieux roman débile à la Anne Rice. Sans aucun intérêt, non vraiment aucun. Sérieusement elle n'y croyait pas une seconde, elle qui avait pour habitude d'écrire des histoires plutôt du genre réaliste. L'imagination n'avait certes pas de limite, mais tout de même. Faut pas pousser mémé dans les orties comme qui dirait l'autre. Dans un simple geste elle claque le point final à toute cette histoire aberrante, se demandant furtivement si son éditeur allait accepter de sa part un tel ramassis de connerie, une feuille de choux, un truc aussi débile soit-il. Mais elle était Morgane Fell's, et rien que pour cela, elle le savait, son bouquin apparaitrait dans les bacs d'ici la fin de l'année. Puis elle avait besoin de sous, elle a un fils à nourrir, des dettes, faut bien arrondir les fins de mois, quitte à briser sa réputation. Quelle importance d'ailleurs de sa réputation ? Parce que quelle réputation ? Son pauvre salaire d'enseignante ne lui suffit pas, puis faut bien le dire, elle aime exploiter ses idées on ne peut plus tordues. Quitte à écrire un bouquin pour les fans de Marylin Manson à la moyenne d'âge de 16 ans et aux besoins convulsifs de s'offrir un grand frisson remplis d'hémoglobine. Lamentable, que c'est charmant est tellement cliché. Les jeunes d'aujourd'hui. Elle ne les comprendra jamais. Faite que Jordan ne finisse pas comme ça, se serait du gâchis.

M'enfin ce n'est pas le tout que de mettre le point final. Hésitant un bref instant, son doigt se pose spontanément sur la touche échappe. Effacer ou bien garder ? C'est vrai, ce n'est pas comme si elle avait passé sa vie à se consacrer à ce livre. Juste quelques mois, une envie soudaine d'extérioriser des craintes passives sur une expérience qui a su marquer sa jeunesse. Mais rien de plus, ça ne lui porte pas trop à cœur. Morgane n'est pas le genre de femme à s'attacher à des biens matériels. Elle pourrait tout aussi bien le conserver dans son ordinateur, se laisser le temps de la réflexion, mais ça non plus elle n'aime pas. Avec elle c'est tout, tout de suite, ou bien jamais. Ne jamais réfléchir, ne pas penser, faire les choses comme elles viennent et advienne que pourra. A quoi ça sert de se prendre la tête ? La vie est bien trop courte. S'asseyant dans le fond de son fauteuil, les mains posées derrière sa tête, les yeux fermés, elle se surprend à repenser à tout ce qui l'a mené ici. C'est con, c'est irréaliste, son imagination lui a juste joué un mauvais tour, rien de plus, pourquoi en faire tout un plat ? Par frustration de ne pas avoir connue son ancêtre ? Surement. Le besoin de lui consacrer un petit quelque chose pour sa mémoire ? Un sourire s'affiche sur son visage. Elle se trouve vraiment pathétique pour le coup.

« Maman j'ai faim. »

Elle ne l'avait pas entendu venir, comme toujours quand elle s'enferme dans son monde, rien ne peut la perturber. Elle avait nerveusement sursauté quand la voix de son fils lui était parvenue aux oreilles. Jordan, sa fierté, son bonheur. Le petit garçon de neuf ans s'était contenté de poser une main sur l'épaule de sa mère, fixant l'écran d'un air dubitatif quand dans un geste presque simple il clique sur la touche « envoyer ». Elle était son idole, la seule personne qu'il aimait lire, encore et encore. Il avait pour habitude de dévorer les mots de sa mère depuis son plus jeune âge, alors qu'elle lui lisait le Magicien d'Oz avant de s'endormir. Jordan Fell's n'avait jamais connu son père, il ignore tout de lui, jusqu'à son nom, son visage, mais il n'a jamais voulu savoir. Pour lui sa vie c'est celle qu'il a, et non pas une qu'il pourrait éventuellement s'inventer pour combler le manque paternel que cause l'absence d'une âme masculine dans la maison. Délicatement il vient enrouler le cou de sa mère à l'aide de ses petits bras tout frêles, blancs, par le manque de soleil. Jordan n'aime pas le monde extérieur, il en a peur, il ne sort que pour aller à l'école, faire les courses ou encore pour prendre ses cours de piano et de violon. Mais sinon, l'enfant est un solitaire, un misanthrope qui n'aime pas le monde. Sa différence le ronge. Mais il a appris à vivre avec. Comme s'il avait le choix de toute manière.

Versus - Temps I : Le mauvais côté du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant