Ce soir, 21h30, le Finn Kellys. C'était le rendez-vous qu'elle m'avais donné. Si j'allais y aller ? Je n'en savais trop rien. Passant la journée à ne penser qu'à ça, à être à moitié présent, encore, bien trop absorbé par cette histoire. Ca me touchait, et le pire, je ne savais pas pourquoi. Assis à la table dans le grand salon, je m'amusais à faire tourner mon téléphone entre mes doigts. Pesant le pour et le contre. Ce que j'avais à y perdre, la vie, de façon hypothétique. Ce que j'avais à y gagner... absolument rien. Alors pourquoi je ferais ça ? Pourquoi j'irais au bout ? Peut-être parce que je savais ce que c'était, que d'être obstiné. Que de se focaliser sur un but et ne rien lâcher. Voulant y arriver. Voulant y parvenir. En devenir complétement obsédé. Obstinée, elle l'était, et je savais qu'elle ne lâcherait rien tant qu'elle n'aurait pas eu ce qu'elle voulait. Peut-être que je devrais la transformer. Peut-être que je devrais la tuer. Peut-être que je devrais disparaitre, encore ? Tant de choix, de solutions, mais aucune ne me plaisait vraiment. J'étais bien ici. Pour la première fois de ma vie j'avais l'impression de me sentir enfin chez moi. J'aimais mon job, j'aimais ce que je faisais. Et je n'avais pas envie de tout plaquer. Harvard était devenue ma seconde demeure. J'avais des collègues qui m'appréciaient, je m'étais fait un cercle. Qui je savais ne pourrais jamais le rester bien longtemps. Dans quoi ? Dix ans, quinze tout au plus, je devrais en changer, partir, arrêter de les voir. Pour ne pas que l'on se pose des questions. Dans Dix, quinze ans je devrais leur effacer la mémoire, mon existence, pour tout recommencer. Encore et encore et encore. Un cercle vicieux. Le prix à payer quand on refuse de changer d'endroit comme le font la majorité des nôtres. Partir, voyager, ne jamais se sédentariser. Mais moi, je n'avais pas envie de ça.
Je l'avais trop fait, et j'étais las de ça. Las de changer de ville, de changer de nom, de changer de cercle d'ami. La tuer serait la solution radicale. Mais ça ne me disait rien non plus. Elle était mon sang, ma famille, et de la famille, il ne m'en restait plus. La lignée était en train de s'éteindre, peut-être que c'était mieux comme ça. Mon frère Jayson était mort de l'opium dans les années 1863. Quant à ma sœur. Ma sœur elle eut une vie heureuse. Elle eut fait des enfants, et c'est sa lignée à elle qui persiste encore. Mais peu importe. La vampiriser serait sans doute le choix le plus judicieux, mais je n'avais pas envie de me prendre la tête avec un nouveau-né. Ils étaient souvent incontrôlables, pulsionnels, ça demandait de l'attention, du temps, de l'éducation. Et je n'avais pas envie de m'amuser avec ça. Parce que j'étais égoïste, parce que ça ne me disait rien, et que malgré tout je me suis toujours dit que si ça devait arriver un jour, ça ne serait que pour servir mes propres intérêts. Je me suis allumé une clope. Fixant l'horloge. 21h. Je devais me décider, et rapidement. Est-ce que c'était si risqué que ça ? Et si elle ne disait rien ? Et si au final, ça pouvait bien se terminer ? Léandre avait des esclaves humains, des esclaves qui connaissaient sa vraie nature. Callan aussi devait très certainement en avoir. Des esclaves sexuels, des esclaves utilisés pour leur sang. Des méthodes bien trop moyenâgeuses à mon goût mais ça faisait partie de leur mœurs. Je savais que le Roi des vampires détenait des dizaines d'hommes dans les cachots de son manoir. Au sous-sol. Qu'il avait construit limite un abattoir pour ne jamais manquer de rien. Là où nous, nous allions plutôt voler dans les banques de sang pour éviter de semer des corps partout.
Des corps, on en avait semé oui, mais maintenant ? Maintenant on évitait, au plus grand désarroi de Senad qui avait encore du mal à se contrôler. Mais on ne faisait pas de bruit. On ne mettait en péril ni le secret, ni notre vie. Alors en quoi ça serait risqué que d'y aller ? Juste y jeter un œil. J'étais curieux. J'en avais envie, je ne pouvais dire le contraire. Ecrasant ma cigarette dans le cendrier je me suis relevé, attrapant mes clés de voiture. Personne ne serait au courant, et ce bar, je le fréquentais régulièrement. Elle le savait, sinon elle aurait changé le lieu. Elle n'aurait pas proposé cet endroit où tous les tabourets du comptoir ont dû être marqué de l'empreinte de mon cul. Montant dans ma Porsche, j'ai allumé le contacte, démarrant, sortant de la cour. Je n'avais rien dit à personne. Je n'avais pas prévenu Senad. De toute manière, j'avais bien le droit de prendre l'air. Je le savais occupé à autre chose ce soir et il étant temps qu'il prenne ses responsabilités, qu'il apprenne à se responsabiliser. Je ne pourrais pas toujours être derrière lui de toute manière. Et s'il faisait le con Alex couvrirait son crime en falsifiant l'enquête. Comme il l'avait déjà fait des dizaines de fois. Mentir, cacher nos traces, nous étions très doués pour ça. Alors il me suffirait de le faire avec elle. Lui mentir, lui dire ce que je voulais lui dire et non pas ce qu'elle voulait entendre. C'était si simple en temps normal. Pourtant je ne sais pas. Je me sentais stressé, angoissé, dubitatif, septique. Elle voulait absolument me voir, et le pourquoi, je l'ignorais. Ca pouvait être pour tellement de raison. Je suis resté là, garé sur le parking du bar, fixant la porte d'entrée. 9h30, 22h, 22h10. Le temps passait alors que je ne l'ai vu ni entré, ni sortir. Jusqu'à me décider enfin. Bien trop curieux pour renoncer. J'avais besoin de savoir moi aussi. De savoir pourquoi elle me cherchait comme ça, alors que je ne lui devais rien.
VOUS LISEZ
Versus - Temps I : Le mauvais côté du ciel
VampirosMorgane Fell's, jeune professeure d'Anglais, écrivaine et mère célibataire tente de vivre paisiblement dans la banlieue de Boston dans le Massachusetts. Malgré les factures qui s'entassent et les fins de mois difficiles, elle tente et fait de son mi...