Versus - Temps I : Le mauvais côté du ciel

Chapitre 5

Il a raccroché. Sans ne rien dire de plus. Le téléphone en main, la tonalité continuait de sonner dans le vide durant quelques instants. Le temps qu'elle comprenne, qu'elle réalise ce qu'il venait de se passer, là, dans la minute. Sa voix, cette voix, ses mots, ses paroles. Arrêter de le chercher. La fin d'une quête, la fin d'une tracte qui durait depuis bien trop longtemps. Il était vivant, maintenant elle le savait, maintenant, elle en était persuadée. Qui aurait pu lui faire un coup pareil ? Sean ? Mais ça n'avait pas été la voix de Sean, et elle savait que son ami ne ferait jamais un truc pareil. Il savait combien cette histoire pouvait la toucher. Alors ça ne pouvait être que lui. Comment avait-il su ? Comment avait-il pu savoir qu'elle le cherchait ? Qu'elle enquêtait sur lui ? Tant de questions qui se remirent à se fracasser dans son crâne. Pourquoi ? Comment ? Quand ? Il ne voulait pas qu'elle le cherche. Il ne voulait pas qu'elle sache davantage. Pourtant c'était plus fort qu'elle. La main tremblante elle a refait le numéro. Ce même numéro qui s'était affiché sur l'écran de son portable. Elle a attendu. Mais personne n'a répondu. Tombant sur la messagerie. Un nom. Une identité, une voix qui reflétait une joie de vivre certaine. La messagerie du Professeur Fell's. C'est ce qu'elle annonçait. Raccrochant sans ne rien dire elle s'est contentée d'envoyer un texto. Furtif. Une date, une heure, un lieu de rendez-vous. Elle voulait le rencontrer. Elle avait tellement de choses à lui demander. Est-ce qu'il viendrait ? Est-ce qu'il accepterait ? Elle n'en savait rien. Mais il fallait qu'elle essaye. Elle n'avait rien à perdre. Tellement rien. Mais tout à y gagner. Il était son sang. Sa famille. Son histoire.

Elle est restée un instant à fixer l'écran de son téléphone, attendant une réponse après avoir reçue l'accusé de réception, mais en vain. Ca a duré combien de temps ? Deux, trois, quatre minutes peut-être avant qu'elle ne délaisse son portable sur le coin de la table de la cuisine. Se passant une main dans ses longs cheveux avant de s'attraper une bière. Il était encore trop tôt pour ça, elle le savait. L'horloge affichée 6h du matin mais elle n'avait pas dormi de la nuit. Encore. Passant la nuit à tourner dans son lit, pensant, ressassant, sans trop savoir pourquoi. Sean avait raison, il fallait qu'elle décroche si elle ne voulait pas finir par péter les plombs. Elle avait besoin de dormir, de se changer les idées, de passer à autre chose. Pourtant elle l'avait fixé ce rendez-vous et le soir même elle serait là-bas, au Pub en train de l'attendre. Le Finn Kelly's, un pub Irlandais qui se trouvait dans le centre-ville de Boston, ce lieu où elle aimait bien se perdre, buvant de la Guinness, se souvenant de sa vie d'avant, là-bas, à Dublin. L'Irlande lui manquait parfois, mais elle s'était reconstruite une vie ici depuis la naissance de Jordan. Elle était tombée enceinte trop tôt, bien trop vite, et évidement, Seamus n'avait pas voulu entendre parler du bébé. Il avait sa carrière, un avenir, pourquoi perdre son temps pour une gonzesse ? Alors elle était simplement partie à l'âge de 21 ans. C'est vrai, pourquoi s'emmerder avec ça, même après trois ans de relation ? Sale con. Elle avait quitté l'Europe pour les Etats-Unis, et c'est là qu'elle a commencé à écrire et à gagner sa vie avec ses bouquins.

Ses bouquins, ses cours, se démerdant toute seule comme elle pouvait. Recevant de temps en temps un chèque de sa mère pour l'aider financièrement. Mais ça s'était fait rare, et puis au final, Vanessa Fell's est morte d'un cancer il y a déjà de ça trois ans en arrière, quant à son père, John, il a fini par virer alcoolique, ne se remettant pas de la perte de sa femme. Il a bien tenté de venir voir sa fille, mais il n'est pas resté bien longtemps. Morgane avait vraiment une vie de merde, mais elle avait fini par appeler ça la malédiction des Fell's. C'était de famille comme on dit. Elle a soupiré, décident finalement de troquer la bière contre un café bien chaud. C'était sans doute bien plus raisonnable. Elle avait des cours à donner aujourd'hui, il fallait emmener Jordan à l'école, sans parler de l'entretien qu'elle avait avec la directrice le soir-même. Choisir, entre le faire entrer au collège à seulement 9 ans, avec trois ans d'avances ou l'expédier à New York dans un institut spécialiser pour les gens comme lui. Le placer dans une case, lui mettre une étiquette sur le front. C'était bien tout ce qu'elle ne voulait pas. Les préjugés, elle savait que ça pouvait détruire les gens. Mais elle était larguée. Entre la peur de voir son fils souffrir de sa différence dans un collège normal, ou l'idée de le voir assumer une image d'enfant précoce et surdoué toute sa vie. Ca aussi, elle avait envie de lui en parler. A lui. Parce que lui sait ce que c'est, lui peut comprendre, et peut-être même, que lui pourrait aider ? Peu importe ce qu'il est, peu importe sa condition. Elle ne lui en voulait pas d'ailleurs. Pourquoi se serait le cas ? Parce qu'il n'a pas fait que du bien d'après ses recherches ? Il n'a pas non plus fait que du mal. C'était ce qu'elle pensait.