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On a déménagé en octobre. C'est très irritant : on n'aurait pas pu arriver dans cette nouvelle ville pour la rentrée ?! C'est horrible d'arriver en cours de route. À l'école, tu es présentée à ta classe, tu ne connais personne alors qu'eux se connaissent entre eux. Tout le monde se demande qui tu es, pourquoi tu es arrivée en cours d'année, mais personne ne te parle parce que personne ne veux parler à une inconnue ! Et pour retenir les prénoms, laisse tomber !

Bon, en vérité, que personne ne me parle ça m'arrange bien. Je ne voudrais pas parler avec eux. Si je viens au lycée, c'est pour apprendre des choses, passer mon bac et ensuite je me barre. Ces jeunes, ils m'énervent, je ne veux certainement pas me lier avec eux. Après les cours, ils regardent des débilités sur leur téléphone. Moi je vais à la patinoire. Chacun son truc, chacun son monde.

La patinoire. Là encore, je dois prendre sur moi puisque la glace est partagée pour tout le groupe. Et là encore, je ne connais personne.

Au premier cours, j'étais super stressée, même si je n'ai rien laissé paraître. Ma mère me dit que quand j'essaie d'avoir un visage impassible, c'est à dire souvent, j'ai plutôt l'air d'une tueuse capable de transpercer les gens de mon regard bleu clair. Peut être parce que je voudrais transpercer les gens des yeux. Waouh, ce serai cool ! Toi tu m'énerves ? Allez, ziou, rayon laser des yeux bleus, et hop, disparu ! Oui, bon, c'est un peu radical quand même. Bref, je pense que pendant ce premier cours de patinage artistique, les gens ont pensé que je voulais les tuer du regard, alors que j'essayais juste de calmer ma tempête intérieure.

Il y avait une dizaine de personnes. C'était un groupe de loisir, car je ne veux pas faire de compétition (encore un truc trop stressant). Comme c'est un groupe ado-adultes, il y en avait de tout les âges. Beaucoup de femmes, aussi, seulement deux garçons : tant mieux. Déjà, le plus jeune des deux (qui à l'air d'avoir mon âge) est énervant. Il fait parti des plus forts, comme il y a différents niveaux, et il est beaucoup trop paradeur à mon goût. C'est vrai quoi, comme la professeure donne des exercices, on les suit, on ne s'amuse pas à tester d'autres choses et on écoute au lieu de discuter ! Bref, il m'horripile, n'en parlons plus.

La prof, Jeanne, est sympa. Et elle patine merveilleusement bien, j'aimerais tellement pouvoir faire comme elle ! Quand elle glisse sur la glace, cela semble si simple... Quelle grâce, quelle rapidité ! Elle danse et elle vole en même temps. Elle est vêtue très simplement, préférant sûrement le confort que l'élégance, mais elle resplendit de beauté et de grâce.

Je me sens lourdaude, à coté ! Moi, je suis dans le groupe du milieu : il y a le groupe des débutants qui savent à peine tenir sur leurs patins, il y a le groupe de ceux, comme moi, qui ont déjà fait du patin et qui se débrouillent, et il y a le groupe des « forts », comme le type qui m'énerve, qui sont assez bons pour être en compétition. Ils pourraient aller dans le groupe compétition, d'ailleurs, on en serait débarrassé ; et la prof pourrait prendre plus de temps pour s'occuper de nous autres.

Dis donc, je suis de plus en plus aigrie, moi. Qu'est ce que ce sera quand je serai vieille !

Bon, stop les ronchonnages, on y va. Où ? À mon cours de patinage, bien sur. Le troisième de la semaine. J'ai seulement trois cours, parce que... bah parce qu'il n'y avait pas plus. Et ça coûte déjà cher. Donc je dois m'en contenter, mais maman m'a dit que je pourrai aller aux séances publiques, aussi.

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Je pousse la porte. En fait, elle est fermée au public, mais la patinoire a donné un badge spécial qui permet de l'ouvrir. Ce serait pratique pour les voleurs si ils avaient un truc comme ça. Enfin, dans une patinoire, il n'y a rien de plus précieux que le plaisir de glisser sur la glace.

Sans un bruit, je rentre dans les vestiaires. Filles et garçons y sont mélangés, car ici on ne se change pas mais on enfile nos patins. Les miens sont semblables aux autres : des bottines blanches à petit talons. J'aime tellement ce type de chaussures que j'ai les même à la maison, sans la lame du patin ! Et j'ai aussi des rollers pareils ! J'aime bien le roller aussi, mais c'est différent du patinage sur glace. Il n'y a pas cette sensation de glisse, ce frisson de froid et de plaisir en même temps.

Ensuite, j'enfile mes gants, obligatoires. J'en ai des noirs, des blancs et des bleus. Aujourd'hui, j'ai mis les noirs, de la même couleur que mon leggings. Autour de moi, les autres discutent. Je ne leur accorde pas d'attention et une fois prête, je pars sur la glace. Je salue la professeure et je fais un petit tour de glace pour habituer mes pieds, vérifier que mes patins ne sont pas trop serrés...

Puis le cours commence. Ce n'est pas toujours facile, et la prof nous en demande toujours plus, mais c'est ce qui nous permet de progresser. Et ce qui est sympa, c'est qu'elle met une playlist qui donne de l'ambiance. Certains vont jusqu'à chanter sur les chansons qu'ils aiment. Quelle horreur, chanter en public, je ne ferai jamais ça !

Alors que je tente vainement de tenir ma jambe en l'air, quelqu'un passe juste à coté de moi comme une fusée. « Il » a la peau un peu basanée et des cheveux noirs bouclés, un sourire éclatant sur les lèvres. Totalement à l'aise dans ses mouvement, il a l'air de bien s'amuser. Par contre, moi, il ne m'amuse pas du tout. Il enchaîne un pas de valse et un pas de je-ne-sais-quoi alors que ce n'est pas du tout la consigne. Nan mais je rêve ou il se pavane ?! Excédée, je lève les yeux au ciel et je tente de me concentrer sur le pas que je dois faire. Mais je m'énerve encore plus parce que je n'y arrive pas. Je sais bien que ce n'est pas de sa faute, mais c'est tellement plus simple de rejeter la faute sur les autres...

-Matteo !

Tiens, il s'appelle Matteo. Hé bien tu vas moins faire le malin, Matteo, maintenant que la prof t'a vu !

-Matteo, tu me montres ?

Pfff, elle ne le fâche même pas. Enfin, s'il ne l'a pas écoutée, il sera bien obligé d'avouer qu'il n'était pas en train de faire ce qu'elle avait demandé...

Je blêmis. Toujours tout sourire, il est en train de faire à la perfection ce que Jeanne avait demandé ! C'est pas juste !

Attends... Je ne serais pas un peu jalouse, là ?

Stop. Nathalie, arrête de penser, concentre toi sur ce que TU fais, et arrête de regarder les autres, particulièrement les beaux garçons super et forts et super chiants.

Ça y est, le mouvement vient. Les pieds ont fini par comprendre comment glisser de la bonne manière, le corps sait où se pencher, et même mes bras se permettent des mouvements gracieux. Soudain, il n'y a plus rien autour de moi, il n'y a plus que la glace blanche sur laquelle je glisse et la musique qui m'entoure. Je répète inlassablement le même pas, en rythme, portée par la musique. Tout est lié, fluide, clair. Je fléchis le genou, tourne, et balance l'autre pied. Et encore, et encore. Et mes bras suivent le mouvement en improvisation, gracieux, caressants, et libres.

-Bravo Nathalie !

Dérapage.

Je titube.

Jeanne est arrivée à coté de moi et m'a félicité, mais en même temps elle m'a fait reprendre conscience de tout ce qui m'entoure. La magie est finie, maintenant, le regard des autres me brûle si fort que j'ai l'impression que la glace va fondre sous mes pieds.

La séance s'est terminée sans autres problèmes, à part que je n'ai pas retrouvé cette plénitude magique. Mais tant qu'il y aura ces gens autour de moi, j'ai peur de ne pas la retrouver...


Cœur de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant