Blood is my lemonade

5. Échec et Mat. -1 Myrtille

— Et celle-ci, tu en penses quoi ? On te voit bien décoller de la plateforme.

— Je saute plus haut sur l'autre, mais elle est floue et on se rend moins bien compte.

Geoffroy et moi sommes assis au bureau de l'étage. Les clichés pris mercredi défilent sur l'écran de mon ordinateur. On les examine avec attention pour choisir ceux qui illustreront l'exposé de mon petit frère.

— Et celle-là ? On a bien l'impression de vitesse avec le flou derrière toi.

— Oui ! Tu peux la noter aussi.

— Tu veux en mettre combien sur ton affiche ?

— En fait, eh ben, je pensais que je pourrais en mettre cinq. Une pour chaque figure que j'ai faite. Et aussi, pour le heelflip, j'aimerais bien toute la série où tu m'as mitraillé. On se rend bien compte du mouvement. Avec toutes les photos, il est bien décomposé.

— Pas de problème. Je te laisse finir de noter les numéros des photos qui t'intéressent. Je pense que pour le heelflip, il n'en faut pas plus de six.

— Que six ?

L'étonnement teinté de panique dans la voix de mon frère me fait sourire. Si je l'écoutais, il faudrait imprimer toutes les photos qui ont été prises mercredi. Mais ça risque d'être compliqué de caser les deux-cents et quelques sur son affiche.

— Tu n'as qu'à déjà faire un pré tri, puis je t'aiderai à sélectionner celles que nous imprimerons. Je te laisse, je reviens vite.

— Mmmm.

Concentré sur l'écran, il ne prend pas la peine de se tourner vers moi pour me répondre. Arrivée dans ma chambre, je me jette sur mon lit. J'ai besoin de prendre un peu de temps pour moi. Les bras croisés derrière la tête, je contemple les étoiles luminescentes collées de façon aléatoire au plafond. Elles ne brillent pas puisque la lumière inonde la pièce par la fenêtre ouverte. Mais ces petites formes plastiques parsemées au-dessus de mon lit se repèrent très facilement sur le plafond peint en bleu nuit. Leur vue m'apaise instantanément. La reprise n'a pas été de tout repos. Entre les contraintes de mon emploi du temps, ce TD de Pratique qui est finalement obligatoire, le départ de mon père pour dix jours de tournée en Asie, je n'ai pas eu le temps de me poser. Et Pénélope, Jo', Léandre et Prune n'ont pas encore repris leurs activités. J'appréhende déjà les prochaines semaines qui risquent d'être mouvementées.

Je relie du regard les étoiles pour former des constellations fictives et je m'évade dans un imaginaire qui n'appartient qu'à moi. Mes parents ont créé ce plafond à mes six ans, quand mes crises de somnambulisme ont commencé. C'était censé m'aider à plonger dans un sommeil profond. Il n'a pas eu l'effet escompté, mais comme je l'aimais bien, je l'ai gardé. Il m'a aidée petite à échapper à une réalité que je ne voulais pas affronter. Et il tient encore ce rôle aujourd'hui d'une certaine manière.

Je fixe mon regard sur un point et fait le vide en moi. Malgré l'agitation ambiante qui règne dans la maison, je me concentre sur ma respiration et m'évade quelques instants. Il est primordial de réussir à se créer ces moments de méditation quand on est l'aînée d'une famille de six enfants.

— T'es prête à sortir, Myrte ?

Jason débarque dans ma chambre sans prendre la peine de frapper à ma porte. À cause de cette manie qui ne l'a pas quitté depuis l'enfance, j'ai dû y installer un verrou, mais j'ai oublié de le mettre. Mon frère et moi sommes très proches, n'ayant qu'un an d'écart. C'est un peu comme si nous étions chacun le prolongement de l'autre. Nous ne pouvions faire quelque chose sans chercher l'approbation de l'autre. À l'école, nous avions le même groupe de copains avant qu'il ne parte en sport-étude. Et quand nous étions séparés l'un de l'autre, nous passions nos soirées sur nos téléphones à échanger des messages pour nous raconter nos journées. Il m'a aidé à surmonter ma première peine de cœur, même si c'était mon choix de mettre fin à cette relation. Il a également été d'un soutien sans faille lors du deuil qui m'a terrassée il y a quatre ans. Il sait quasiment tout de moi. Et inversement.