Nous nous dirigeons vers la grande salle où se déroule la réception. Vu l’heure avancée, de nombreuses personnes ont déserté les lieux. Seuls des jeunes, amis des mariés, se laissent entraîner par des mélodies rythmiques sur la piste de danse.
— Je voudrais dire au revoir à Guillaume et Aliénor, informé-je Jason. Je te retrouve à notre table pour récupérer nos affaires.
— Je viens avec toi. Je n’ai pas vu notre cousin de la soirée.Tandis que je cherche le couple des yeux, une nouvelle musique résonne dans les enceintes, provoquant l’euphorie générale. À mon grand étonnement, mon frère referme ses doigts autour de mon poignet et m’entraîne sur la piste. Je reconnais sans peine l’introduction rythmée de Cosmo pour l’avoir entendue suffisamment à travers la cloison qui sépare nos chambres. Me concernant, je n’ai pas l’intention de danser. J’ai les pieds en bouillie et je rêve de me poser dans un endroit calme pour fermer mes paupières.
— Non, non, non, non, non, non, non, non, non… Jason ! Lâche moi ! martelé-je pour manifester mon désaccord.
Je tente de lui résister en tirant sur mon bras. Il se tourne alors face à moi tout en resserrant sa prise. En marchant à reculons, il entame les paroles de la chanson, ses yeux rivés aux miens.
— Où sont les filles, les femmes, au tempérament de guerrière ; oui, qui savent faire la fête qu’elles soient mères ou célibataires¹…
Ma réserve ne fait pas le poids face à la supplique silencieuse de son regard. Jason à beau être mon cadet d'un an, il émane de lui une force de volonté à laquelle il m'est difficile de résister. D’un hochement de tête, il valide ma requête silencieuse prononcée du bout des lèvres. “Une seule”. Il agrippe alors mon autre main et me tire à lui. Nos bras se meuvent au-dessus de nos têtes sans que je ne contrôle quoi que ce soit. Je finis par lâcher prise pour profiter.
Cette parenthèse d'insouciance, aussi éphémère qu'inattendue, emplit ses pupilles d'une malice juvénile. L'espace d'un instant, je me trouve transportée des années dans le passé lorsque mon frère m’incitait à faire les quatre-cents coups avec lui. J'en oublie mes deux pieds gauches et me laisse aller à des pas de danse approximatifs. Le sourire qui illumine son visage fait écho au mien.
Des corps de plus en plus nombreux envahissent l'espace autour de nous. Dans un mouvement général, nous sautons en rythme sur le refrain entonné à l’unisson par les invités. Je n’ai jamais été à l’aise au cœur de la foule, mais rivant mes iris à ceux de Jason, je me crée une bulle en nous imaginant seuls au milieu de sa chambre. Sur la pointe des pieds pour éviter de me les faire piétiner, je suis bousculée de toute part. Loin de réfréner mon plaisir, je me laisse porter par l’énergie ambiante.Je réussis presque à faire abstraction des personnes autour de moi quand deux mains viennent se plaquer autour de ma taille. Dans un premier temps, j’imagine que ce sont celles de mon frère. L’étonnement que je lis dans son regard alors que ses deux bras s’abaissent me fait comprendre l’inverse. Il n’y a pas une infinie possibilité quant à l’identité de l’inconnu derrière moi. Mis à part nos cousins, je ne connais personne ici.
Je me retourne pour saluer un éventuel cavalier quand une masse de cheveux clairs fonce vers moi. Impossible de reconnaître la voix qui murmure à mon oreille.
— Toi, tu ne me fais absolument pas rêver, Belette.
Mon partenaire mystère recule et je découvre un gars qui me surplombe. Son sourire en coin lui dévore la moitié du visage, tandis que ses cheveux lui cachent l’autre. Je n’arrive pas à déterminer si c’est une façon très singulière de m’aborder ou s’il a réellement quelque chose à me reprocher. Je me souviens de lui, assis à une des tables des amis d’Aliénor. Il captait avec magnétisme l’objectif de mon relfex. Mais sa beauté n’a d’égal que son arrogance, et à cet instant précis, elle ne lui sera d’aucun secours.
— Pardon ?
De longs doigts délicats écartent les quelques mèches blondes qui lui barrent la vue. Des iris bleu gris complètent le parfait look du surfer. Ce mec est canon et il le sait. Il transpire l’assurance et la condescendance. Son sourire renversant s’étire davantage. Toutefois, cette apparence ne semble être qu’un masque quand je découvre une profonde mélancolie au fond de ses pupilles. Je me sens happée par l’histoire qu’elles me partagent. Alors que je souhaiterais en tourner les pages, le livre ouvert que je déchiffre se referme d’un coup. Une voix douce mais rocailleuse me donne le coup de grâce.
— Quand on ne sait pas danser, on s’abstient de venir au milieu de la piste de danse. Tu as réussi l’exploit de m’écraser bien plus les pieds, en deux minutes, qu’ils ne l’ont été durant toute leur vie. Un conseil, Belette, la prochaine fois, reste chez toi.
Non, mais je rêve !
— Tu ferais bien de te méfier. À défaut de contrôler mes pieds, je maîtrise parfaitement le coup de genou. Tu risquerais d’en recevoir un mal placé.
Après avoir recouvré mes esprits, mon regard lui lance des balles meurtrières. Mon attitude provoque chez lui un éclat de rire qui sonne faux. Dans une attitude surjouée, il replace une mèche de mes cheveux derrière mon oreille avant de tourner les talons. Tout en s’éloignant de moi, je le vois secouer la tête et hausser les épaules avant de disparaître de ma vue.
Une nouvelle main s’abat sur mon épaule. Je sursaute en poussant un petit cri.
— Tu viens, Myrtille ? Allons récupérer nos affaires, et partons.
La douce voix de Jason me ramène à l’instant présent.
— Ma sacoche d’appareil photo est sur ma chaise, avec ma veste et mon sac à main. Où as-tu laissé mes chaussures ?
Je remarque alors que la chanson est terminée et la piste de danse se vide. Le regard rivé au sol, je tournoie sur moi-même dans l’espoir d’apercevoir mes escarpins. Non pas que j’ai l’intention de les remettre, mais vu le prix qu’ils m’ont coûté, ce serait dommage de les égarer.
—- Quelque part par là, marmonne mon frère sans grande conviction.
Heureusement, nous les retrouvons rapidement. Après avoir ramassé nos biens, nous saluons rapidement Guillaume et sa nouvelle femme Aliénor. J’en profite pour faire quelques derniers clichés du couple pour immortaliser une dernière fois leur complicité.
Lorsque nous sortons de la demeure, les premières lueurs de l’aube nous accueillent. D’un coup, je ressens comme une chape de fatigue s’abattre sur moi. Dans un bâillement sonore pour le moins inélégant, je cherche la voiture dans la pénombre tandis que Jason s’élance sur les graviers. Tandis qu’il se dirige vers le bip retentissant signalant le déverrouillage des portières, mon regard est attiré par une grande silhouette noire qui ne me semble pas inconnue. Pour l’avoir vu s’éloigner de moi tout à l’heure, je reconnais sans peine mon grossier cavalier. Je ne peux m’empêcher de le suivre des yeux.
Un klaxonne retentit et me tire de mes rêveries.
Je ne peux cependant me défaire de ce sentiment de déjà vu.-----
1 : Cosmo, Soprano
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Blood is my lemonade
Roman d'amourMyrtille débute sa dernière année d'école de journalisme. Pour se faire embaucher dans un grand journal national, elle est à la recherche du scoop qui la révèlera. Avec son appareil photo accroché en bandoulière et son carnet à portée de main, elle...