1. Let's dance. -1 Myrtille

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— Jason ! Jason !

Mais où peut-il bien se cacher ?

Mes escarpins à la main, je termine mon troisième tour de jardin où se déroule le mariage de mon cousin Guillaume et il demeure introuvable. J'ai fouiné dans tous les recoins. Il m’est impossible de lui mettre la main dessus. Mon frère cadet devait me ramener. J’espère qu'il n'est pas parti de son coté car je n'ai plus personne avec qui rentrer. Mes parents ont quitté la soirée il y a plusieurs heures maintenant avec mes jeunes frères et sœur.

— Jason !

Je ne sais pas ce qu'il a en ce moment, mais il semble tellement taciturne. Ce ne serait pas étonnant qu'il n'ait pas enregistré l'information concernant notre retour commun. Il va falloir que je me mette en quête de ma tante Solange ou de l'un de ses enfants qui logent dans le gîte voisin du nôtre. En espérant qu'ils ne soient pas déjà partis.
J'avance sur les graviers de la cour en sillonnant entre les différentes voitures apprêtées de froufrous festifs orange et vert. Mes pieds nus apprécient moyennement le sort qui leur est réservé mais je préfère cette situation au risque de me tordre la cheville en talons. Je repère la belle Jaguar de mon oncle et décide de me diriger vers les festivités pour requérir ses services.
Sur les marches du perron, je perçois des mouvements sur la gauche malgré la pénombre. Je plisse les yeux et remarque du mouvement dans la glycine.

— Jason, c'est toi ?

Le gloussement étouffé qui me parvient me décide à aller voir par moi-même. Je repousse quelques branches tombantes et je me retrouve nez à nez avec Inès, témoin de la mariée. La situation on ne peut plus compromettante dans laquelle je la découvre me fait monter le rouge aux joues. Je me détourne rapidement mais j'ai tout de même le temps de reconnaître la chevelure rousse de Kévin, avec qui j'ai échangé quelques banalités au cours du repas. La tête à peine dissimulée sous la jupe, il s'adonne à une pratique qui me questionne : quel plaisir peut-on éprouver dans cette position ? Je reconnais que je ne suis pas une experte dans le domaine, mais je ne pense pas apprécier cette fantaisie.

Ne sachant où me mettre, je m’éloigne du couple, gênée, et mets quelques secondes à retrouver mes esprits. Je me dirige vers la porte massive en bois et évolue dans les couloirs sombres à la recherche des toilettes. Un peu d'eau fraîche ne pourra me faire que le plus grand bien. Les images résiduelles de la scène nocturne à laquelle je viens d'assister persistent sur mes rétines.

Au bout du corridor, la porte me résiste. J'entends de l'agitation de l'autre côté de la paroi, des pas précipités, un bruit métallique et de l'eau qui coule. Puis le verrou finit par tourner. La luminosité de la pièce m'aveugle et je ne remarque pas tout de suite l'angoisse saisir les traits du visage de l'homme face à moi.

— C’est ici que tu te cachais ? Ça fait une plombe que je te cherche. J'ai cru que tu étais parti en m'oubliant.
— Euh…
— Si tu es prêt, je veux bien y aller. Juste le temps de me passer de l'eau sur le visage et on pourra partir.
— Euh…
— J'ai besoin de me changer les idées. Je viens de voir Kévin à genoux sous la robe d'Inès. Je préfère ne pas savoir ce qu'ils étaient en train de faire dans les buissons.

Tout en racontant la scène à mon frère, je lâche mes chaussures par terre et je m'asperge le visage d'eau du robinet. En m'épongeant avec la serviette en tissu, je plante mes iris bruns dans ceux identiques de Jason à travers le miroir. Son visage blême semble doucement reprendre des couleurs sous les ampoules blafardes du plafond.

— Qu'est-ce qu'il y a ? On dirait que tu as vu un fantôme ? C'est moi qui me suis retrouvée face à une scène dont je me serais bien passée.
— J’ai été surpris Myrte. Je ne m'attendais pas à toi.
— En quoi est-ce surprenant ? Tu es dans un lieu public, n'importe qui peut débarquer.
— Écoute, Myrte… Je v…
— À moins que…

Alors que je coupe la parole à mon frère, une idée germe dans mon esprit. Je me dirige vers les trois portes fermées séparant notre espace des toilettes individuelles. La première s’ouvre facilement sur une pièce vide. Il en est de même pour la deuxième qui n’est pas verrouillée.

— Mais qu’est-ce que tu fais ? m’interroge mon frère ne comprenant pas mon manège.
— C’est ici que tu la caches ?

Bien consciente de répondre à sa question par une autre, je lui laisse le temps de réagir après avoir posé ma main sur la dernière poignée. Mon regard inquisiteur sonde ses pupilles rétractées tandis que je tente de garder mon sérieux. Je meurs d’envie d’exploser de rire, alors je me mords l’intérieur des joues pour ne rien laisser paraître.

— Que je cache qui ? Tu me fais quoi, là, Myrtille ? C’est un nouveau scoop que tu cherches dans ces toilettes ?
— Peut-être bien…

Et quel scoop je pourrais dénicher dans ce lieu insolite ? Tout en repensant à Inès, la chevelure rousse de Kévin se brouille dans mon esprit pour laisser place à celle auburn de Jason. Un frisson me parcourt. Il est hors de question que mon esprit se trouve pollué par des images de mon cadet en pleine action. J’appuie sur la clenche pour me convaincre que ce dernier ne s’adonnait pas à un coup vite fait avec une inconnue lors de cette soirée de mariage. Je scrute les quatre coins de cette pièce exiguë. Je redresse même la tête vers le plafond, au cas où un individu notoire se tiendrait planqué là-haut. Les toilettes sont vides. Des images chastes prennent alors place dans ma tête, chassant loin celles plus osées que mon imagination débordante a voulu m’imposer.

— Personne…

Ma voix est un mélange entre l’étonnement et le soulagement. Que pouvait bien faire mon frère s’il n’était pas avec une autre personne dans ces toilettes ?
Mais que je suis contente de le savoir seul !

—  Les préliminaires d’Inès et Kévin ne sont pas assez croustillants pour une histoire à raconter ?
— Le sexe aux mariages, c’est surfait. L’ambiance festive, portée par l'alcool et l’euphorie du moment, est propice à de nombreux rapprochements. Tout le monde le sait. Il n’y a rien d’exceptionnel là-dedans. Et niveau sexe, j’ai déjà abordé le sujet dans mon poste concernant l’enterrement de Grand-Pa l’année dernière.

J’ai toujours aimé écrire. Plus jeune, je postais les recettes de pâtisseries que je cuisinais avec Grand-Ma sur mon blog Les papilles de Myrtille. Je prenais plaisir à interroger tous les membres de ma famille pour recueillir leurs impressions. Chaque article était toujours accompagné de dessins crayonnés façon bande dessinée où je reportais les paroles de mes frères et sœur. Quand mon arrière-grand-mère est décédée, j’ai arrêté de préparer des gâteaux, mais j'ai gardé plaisir à partager des scènes de vie. Les réseaux sociaux m'ont permis de poster mon quotidien de façon plus fluide que sur le blog. Et les photos ont pris le pas sur les dessins, bien plus chronophages. Cela ne gêne pas mes proches de faire partie de mes tribulations du moment que je ne parle pas de leurs déboires sentimentaux.

— Tu sais, Myrte. Parfois, tu devrais écrire un peu moins et baiser un peu plus. Je suis sûr que ça ne te ferait pas de mal !
— Parce que tu as des conseils à me donner dans ce domaine ?
— Je ne suis pas sûr de vouloir parler de ça avec toi, en effet.

Il passe son bras par-dessus mes épaules et m’emmène vers la sortie. En parfait gentleman, il récupère mes chaussures avant de passer la porte.
J'aime le côté protecteur de mon petit frère. Il a beau avoir un an de moins que moi, il a toujours eu cette attitude bienveillante. Que ce soit envers moi ou nos cadets. Le fait qu’il était scolarisé à Bourg-Saint-Maurice en section sportive pendant ses années collège a renforcé nos liens. On ne se voyait que le week-end alors on vivait à deux-cents pourcents. C’est grâce à lui que Pénélope fait du hockey sur glace ou encore que Geoffroy pratique le skateboard. Sportif dans l’âme, il était bien plus téméraire que moi qui préférais rester en retrait, cachée derrière mon appareil photo.

D’ailleurs, j'ai gagné le prix du jeune journaliste en herbe grâce à un article dont Jason a été le sujet. Ma première publication, quand il a gagné sa première médaille d’or à quatorze ans. J’avais les doigts gelés mais je l’ai mitraillé sous tous les angles.

Hélas, il a connu un tragique accident il y a trois ans. Mais même s’il semble avoir perdu sa joie de vivre quotidienne, il est toujours là pour nous. Preuve en est ce soir, où il a accepté de jouer les chauffeurs avec moi.

Blood is my lemonadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant