01 - La nouvelle demeure (2/3)

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« Raconte-moi », murmure Célia...

J'imagine émaner de sa bouche et de son visage une vapeur enivrante, un parfum de confiance. Célia porte en elle cette énergie bienveillante. Elle avait créé une atmosphère de connivence, de ces moments propices à ce que les cœurs s'ouvrent et où se dévoilent les plus grands secrets, à ce que les complots s'ourdissent derrière les rideaux obscurs de l'Histoire, où des reines et des rois montent sur des trônes et en tombent virtuellement avant de subir des destins contrariés. Peut-être que j'exagère, mais c'est de cette manière que j'explique pourquoi je ne peux m'empêcher de suivre ses ordres. Je referme alors la porte et m'assieds à côté d'elle pour fouiller un instant dans les tréfonds de ma mémoire étalée devant nos yeux, à la faveur d'une consigne non respectée et d'un morceau de scotch dont l'efficacité n'avait pas résisté à l'épreuve du temps ou de la maladresse de mon amie.

— Ça, par exemple, commencé-je dans un souffle en me penchant pour saisir le galet, je l'ai ramassé sur une plage en Bretagne quand j'avais 8 ou 9 ans. J'étais en colonie avec ma meilleure copine de l'époque, Lucile.

— Je ne la connais pas, Lucile, si ?

— Non, on s'est plus revues ensuite. Je ne le savais pas encore sur le moment, mais c'étaient les dernières vacances toutes les deux, elle a déménagé ensuite dans le Nord.

— Et ça ? me demande-t-elle en attrapant l'ukulélé.

— Celui-là il est récent, je l'ai « emprunté » à Tom quand on sortait ensemble, mais il ne le sait pas, dis-je en mimant les guillemets avec mes doigts au moment de prononcer le mot « emprunté ».

— Ah oui, ta phase « musicienne ».

Elle aussi mime les guillemets avec ses doigts. Par réflexe, je lui manifeste par une grimace que sa moquerie n'est pas passée inaperçue, mais elle ne voit pas ma langue ainsi tirée, concentrée sur la position de sa main sur le manche de l'ukulélé. Comme une barde en quête d'inspiration, elle se met à gratter les cordes avant de déclamer des vers inoubliables :

« Oh Tom, Tom, Tom
Fais-moi vibrer-brer-brer
Caresse mes cordes, cordes, cordes
J'veux qu'tu m'emportes, portes, portes »

Ayant profité de ce grand moment de la chanson française pour donner forme au carton, j'y glisse prestement le galet au fond, ainsi que le sex-toy. « Je peux ? », lui demandé-je faussement en agrippant le manche de l'instrument sans lui laisser le choix, interrompant de la sorte sa ballade improvisée qui de toute façon ne rimait à rien.

Soudain, la porte s'ouvre en grand et le visage rougi de Jonathan apparait. Après un instant de surprise, nous voyant assises toutes les deux au milieu du bric-à-brac, il s'adresse à nous en faisant appel à toute l'ironie nonchalante dont il dispose.

— Je n'avais pas compris qu'il y avait répet' ce soir, je pensais bêtement qu'on était là parce que tu déménageais chez ton nouveau copain !

— On a eu un accident de carton ! réplique Célia.

— Je préviens les pompiers ?

— Tu peux finir de ranger les couverts dans la cuisine, nous on ramasse ce qui traine ici, lui dis-je en lui servant cette phrase comme je lui aurais offert un bonbon, c'est-à-dire avec un grand sourire enrobé de douceur.

Il nous jette un regard pour sonder au plus profond de nous et déterrer le secret, mais nous lui opposons notre fausse innocence. Quelques millisecondes suffisent pour qu'il abandonne tout en gardant une certaine fierté, l'air de celui qui sait que ce n'est pas le moment d'insister mais qui obtiendra tôt ou tard la clé de l'énigme, sous la forme d'une confession alcoolisée ou d'un indice négligemment donné. « OK, mais moi et Assia on veut des billets en fosse pour le concert », dit-il finalement en refermant la porte. Nous entendons ses pas s'éloigner ; trois pas, précisément, avant que Célia ne revienne à l'attaque.

Autopsie des passions assouviesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant