04 - Surprises (1/3)

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Mon message pour Antoine est tout à fait amical et sans ambigüité. C'est en tout cas ce dont j'essaie de me convaincre au moment où je sors de l'ascenseur, pendant que j'appuie machinalement sur l'interrupteur pour allumer les lampes du couloir de l'immeuble, et même encore alors que j'extirpe les clés de mon sac à main, tout en avançant à une allure chaotique vers la porte de notre appartement. Il n'y a aucune ambigüité à solliciter des nouvelles d'un homme qu'on a croisé 6 mois plus tôt, à qui on n'a jamais envoyé de message ni aucun autre signe de vie ou d'intérêt depuis, qui a tenté plusieurs fois de vous montrer son envie d'explorer une certaine forme d'intimité sous prétexte de découverte des côtes atlantiques, et à qui on signe « Louise, la Parisienne aux yeux bleus ;) ».

J'enfonce les clés dans la serrure tout en me demandant s'il existait une technologie permettant de supprimer automatiquement un message qui trahit une intention qui ne devrait pas quitter son autrice. De fil en aiguille, je m'imagine une intelligence artificielle qui aurait la possibilité de prévoir, grâce à l'ingestion de la somme des échanges entre moi et les différentes relations amicales et amoureuses que j'entretiens, quand un sentiment naît au fond de moi, quand il meurt, ou même quand il échappe à ma volonté. Peut-être en outre qu'une telle machine pourrait écouter les battements de mon cœur, mesurer la pigmentation de mes joues, suivre la trajectoire de mes yeux, ou encore entendre et analyser mes paroles, et qu'elle serait suffisamment formée à détecter les légères variations d'intonations dans la voix, les silences sensibles, les bafouilles préromantiques, le subtil rosissement qui peut succéder à un compliment reçu, le parcours du regard sur les facettes d'un visage, sur un torse, sur une paire de fesses, pour disséquer avec précision l'entièreté des émotions qui traversent mon âme, et avant même que ma conscience ne se réveille, m'envoyer un message sur ma montre connectée pour me prévenir lorsque je suis en train de tomber amoureuse ou lorsque la passion me quitte. « Sujet : Louise Keller ; Sentiment : s'ennuie dans son couple ; Marge d'erreur : 16 % ».

Au moment où je forme cette pensée, comme si ma rêverie diurne prenait tout à coup corps, le bruit de vibration de mon téléphone portable résonne dans mon sac. Saisie par l'idée à la fois étrangement désirable et potentiellement désagréable que mon esprit puisse être capable de matérialiser ce que j'imagine, ma main reste un instant suspendue au-dessus de la poignée de la porte avant de plonger dans les entrailles d'où proviennent les gargouillis électroniques. Subrepticement, l'écran du téléphone reflète mon visage alors que s'y dessine simultanément l'explosion de joie soulagée contenue à la lecture de la notification d'un texto reçu par « Antoine Voile Arcachon », et le doux regret de ne pas être dotée du pouvoir extraordinaire de modeler la réalité selon mes pensées. J'ouvre le message et je parcours en une fraction de seconde les quatre mots qui composent la réponse affichée sur mon application. Je fronce les sourcils et éteins machinalement le téléphone ; sur l'écran, mon visage ne reflète plus que de la déception.

« Salut ! Comment tu va ? »


Autopsie des passions assouviesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant