Autopsie des passions assouvies

05 - Le poison (4/4)

« Bon, c'est quoi ton problème ? » lancé-je excédée à Assia.

— Moi rien, mais toi, c'est quoi ton problème à aller draguer un gars pendant que ton mec actuel essaie de sauver votre relation ?

— C'est pas grave, si ? demande Célia pour tenter de calmer Assia.

— T'as un mec qui est sympa, pas stupide, qui est probablement sous pression dans son travail, qui a l'air de te traiter correctement pour une fois, et toi tu continues à déconner ?

Je sens tout en moi chauffer. Mes veines remplies de la sève incandescente et toxique de mon égo blessé brûlent mon corps entier. Peut-être n'aurais-je pas dû finir ma pinte sans avoir mangé.

— Alors déjà, tu me dis qu'il me traite bien, mais tu trouves que c'est une façon de traiter sa copine que de rentrer à 22 h tous les soirs, de passer les week-ends à dormir tellement t'es épuisé ? Et puis y a quoi que t'as pas compris dans la phrase « j'ai pas relancé Antoine » ?

— Tu crois que je ne te connais pas. Tu crois qu'on te connait pas, qu'on ne sait pas ce qu'il y a derrière ?

Elle inclut Célia et Jonathan du regard. La première essaie de se faire toute petite, et le second scrute au fond de son verre en espérant que la banquette l'aspire loin d'ici.

— Comment ça derrière ? Y a quoi derrière ?

— Tu sais très bien. Tu nous as fait un beau discours il y a 3 mois.

— 5 mois, reprend Jonathan tout en continuant à admirer son verre.

— ... il y a 5 mois, comme quoi tu as mûri, tu t'es rendu compte que tu avais un rapport malsain avec les hommes et avec leur regard, et qu'avec Stéphane tu avais l'impression que tu n'avais plus besoin de plaire à tout le monde pour te sentir bien, que tu te sentais prête à faire les efforts. J'ai raison ou pas ? lance-t-elle en prenant à témoin Célia.

— Oui et ? J'ai pas couché avec Antoine que je sache ?!

— Et tu nous as pas dit que si tu déconnais il fallait qu'on te le dise ?

— Peut-être, mais j'ai pas déconné, j'ai pas trompé Stéphane !

— Tu l'as pas trompé ?! Donc là tu serais capable de lui dire, les yeux dans les yeux, que tu as envoyé un message à un mec qui t'a draguée cet été, et il n'aurait pas de souci avec ça ?

— Non, aucun, rétorqué-je sur la défensive en mentant de façon évidente.

Assia me regarde avec un scepticisme plus grand encore que si Célia avait débarqué ce soir en nous annonçant avoir trouvé la Chouette d'or dans le tiroir de sa commode. Moi, je n'en mène pas large. La culpabilité est un poison que l'on doit avaler et digérer seul, cependant sous la pression de son jugement sévère, je fais l'erreur d'en verser une dose à mon amie.

« C'est quoi ton problème en fait ? C'est pas parce que tu t'es fait tromper cent fois par ton ex que tu peux te faire la juge des adultères ! C'est pas en m'empêchant de tromper Stéphane que ça va effacer les fois où elle a couché dans ton dos et que t'étais trop conne et aveugle pour le voir alors qu'on avait compris ici qu'elle se foutait de ta gueule depuis le début. »

Je me mords les lèvres. En quelques secondes, la bouche serrée d'Assia se relâche et tombe, en même temps que ses yeux, et tout son corps exprime une profonde tristesse. Célia a compris. Elle lui dit « Attends ! » avant même qu'Assia ne disparaisse entre les tables, puis me lance un regard noir et part à sa suite pour essayer de la raisonner, de trouver l'antidote de ses mots. C'est irrémédiable. Je voudrais moi aussi être aspirée dans la banquette et réapparaitre dans un monde où j'ai pu contrôler mes émotions. Un monde dans lequel je n'ai pas honte de moi.

Pendant plusieurs secondes agonisantes, le silence envahit la table. Le mur de télévisions s'est presque entièrement éteint, les programmes sont terminés et une mire s'affiche sur tous les écrans. Tous les écrans, sauf un, au centre, dans lequel une émission de nuit, intime, de celles sur lesquelles on tombe par hasard en naviguant sur les centaines de chaînes du satellite, diffuse l'image en noir et blanc de Jonathan qui d'une voix calme et monocorde m'assène un fataliste : « Là, t'as déconné Lou ».