« Ça prépare la colle ici ? » leur demande Célia.
— On montre à Pauline, dit celle qui tient le seau en désignant la touilleuse.
— Je vous présente Lou, dont je vous avais déjà parlé.
— Salut, moi c'est Solène.
— Soraya, poursuit la troisième.
— Et moi beeeennn... Pauline ! Paupau ! s'amuse-t-elle en interrompant son brassage une demi-seconde.
— Examen surprise Paupau ! lance en souriant Célia. Comment se prépare un collage ?
— Alors faut mélanger de la farine avec un peu d'eau, puis ensuite verser dans de l'eau bouillante et brasser jusqu'à ce que le cocktail soit bien visqueux, ni trop liquide, ni trop solide. Ah, aussi, très important : il faut préparer au moins une demi-heure à l'avance ! récite-t-elle.
— Et mettre au frigo pour le conserver, mais bon là il fait suffisamment froid pour que ça tienne dehors avant ce soir, complète Solène.
— En fait c'est hyper simple ! répliqué-je, étonnée du peu de moyens financiers nécessaires pour les opérations de collages féministes qui fleurissent dans les rues.
— Ça, c'est la théorie, mais la pratique c'est autre chose. Tu verras ce soir ! me lance Solène.
— J'ai des plans ce soir, désolée, dis-je ravie d'avoir une bonne excuse pour ne risquer ni la garde à vue, ni la pneumonie.
— Elle passe la soirée avec son mec, en totale hétérosexualité, jette Célia sans se retenir.
Je lui lance un regard noir. Quelle balance. Bravo la sororité !
— Personne n'est parfait, lâche Pauline.
— J'ai pas fini d'essayer de la convaincre de le lâcher pour ce soir. J'y crois ! lui répond Célia en me trainant à l'intérieur de l'appartement.
— On est davantage opposées à la séquestration qu'à l'hétérosexualité, Célia ! conclut Pauline.
« Tu veux un thé ? ». J'ose demander s'il y a du café, plutôt. « ¡ Sí ! », me répond Célia avec un accent colombien, tout en me tendant un mug. Elle me verse un fond de café depuis la cafetière qui trône autour des madeleines et des parts d'un gâteau dont le doré correspondant précisément à la couleur qui me met en appétit, qui a l'air moelleux à souhait, et qui est recouvert d'une crème brune dont les effluves caramélisés parviennent jusqu'à mes narines.
— Tu veux un bout ? me propose Célia qui n'a pas perdu une miette de mon regard plein de désir pour ce délice à venir.
— Une petite part, dis-je sobrement tout en attrapant vigoureusement un morceau qui est loin d'être le plus petit.
— C'est Margot qui l'a fait, précise-t-elle en désignant une personne qui discute avec Manuela, c'est un gâteau à l'orange, végane et sans gluten.
Sans beurre et sans farine, donc. Parfait, je rentrerai toujours dans mon vieux t-shirt informe. Je croque goulûment dans ses promesses sucrées. Mon instinct gustatif ne m'a pas trompée. Il a le goût des dimanches après-midi dans la cuisine avec ma mère et ses amies, ce goût qui ramène à l'insouciance de mon enfance heureuse, ce goût ancré au fond de moi qui me fait tout oublier, ce goût que rien au monde ne pourrait gâcher. Bravo Margot.
« Tu as reparlé à Assia ? ». La question est posée de but en blanc, la bouche pleine, sans même que j'ai pu boire une gorgée de café. Le gâteau devient amer dans mon larynx. Bravo Célia.
— Non, fais-je sèchement.
— Ça fait presque 2 mois, je pense que c'est bon, ça a assez duré, va lui parler.
— Parce que tu prends sa défense maintenant ?
— On en a déjà parlé, c'est vraiment nul de finir une amitié comme ça, et elle attend que ça, que tu reviennes vers elle.
— C'est ce qu'elle t'a dit ?
— Non, pas directement et explicitement. C'est ce que je ressens.
— Mais tu trouves que j'ai abusé après ce qu'elle m'a dit ?
— Honnêtement ? Oui. Elle ne voulait pas te blesser, elle avait l'impression que tu sabotes ta relation, c'était pour ton bien qu'elle t'a dit ça.
Célia s'efforce d'être conciliante et de garder une voix calme. De mon côté, j'ai du mal à ne pas m'emporter, malgré le gâteau à l'orange et ses effluves de bonheur.
— Non, non, ne réécris pas l'histoire : elle a sous-entendu que je couchais avec n'importe qui et que je connaissais pas mon mec. Toi tu prends sa défense alors que t'es féministe ?
— C'est quoi le rapport ?
— Je sais pas, la libération sexuelle, par exemple ? Le fait qu'une femme peut faire ce qu'elle veut de son corps sans être jugée, encore moins par une autre femme, asséné-je fière de mon coup.
Pour une fois que je peux utiliser le féminisme à mon avantage, je ne boude pas mon plaisir. Célia prend un instant de réflexion, comme sonnée par ce que je viens de lui dire. En réalité, elle s'en sert pour rassembler ses pensées. Je vais vite l'apprendre à mes dépens.
« Louise... » commence-t-elle, d'une voix ferme.
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Autopsie des passions assouvies
RomanceLouise Keller, 27 ans, a rencontré Stéphane après des années d'errance sentimentale. Si le début de la relation la place sur un petit nuage, l'orage gronde au loin. Pourra-t-elle fuir les démons qui l'habitent encore longtemps ?