Une cuillère et demie de chocolat en poudre

Chapitre 9

 Je crois que je me suis rarement senti aussi bien. Un album de Queen résonne dans la maison, nous sommes tous autour de l'îlot central de la cuisine, en pyjama, les cheveux encore humides. Ça sent le gel douche, le shampoing et la nourriture. L'air marin est à la fois fatiguant et apaisant, j'ai l'impression de sentir encore le soleil sur ma peau.

— C'était super intéressant de voir les différentes approches.

J'écoute avec attention Charles raconter son dernier cours de théâtre. L'un des exercices consistait à faire sortir une personne et à choisir une situation à laquelle les autres devaient la confronter : l'imiter dans tous ses faits et gestes, faire semblant d'avoir peur d'elle ou, au contraire, de l'aimer.

— C'est grâce à ce genre d'exercice qu'on comprend mieux à quel point les réactions peuvent être complexes, valide Diego en déposant devant nous les pâtes à pizza.

Charles et Loris s'empressent de dérouler les leurs et je les imite.

— Sarah Rouxel n'a pas dû faire beaucoup d'effort pour jouer les amoureuses transits avec toi, ricane Loris.

— C'est vrai qu'elle n'a pas beaucoup changé au final, avoue Charles, gêné.

Loris se pencha vers lui en battant des cils et son meilleur ami le repousse en éclatant de rire.

— Arrête ! Sean m'a ouvertement dragué, son jeu était génial, il avait l'air tellement désespéré que j'ai failli accepter son invitation.

J'esquisse un sourire en essayant d'imaginer la scène. Charles vibre de passion pour le théâtre. Quand je l'écoute nous parler de ses cours, je suis sûr d'une chose : j'en serais incapable. S'adresser à un public imaginaire sur une improvisation, regarder une personne dans les yeux pendant une minute, ou tout simplement parler devant plus d'une dizaine de personnes. Au contraire, mon double paraît emballé par ce qui le met en difficulté, par les jeux silencieux où tout passe par le langage corporel pour exprimer un sentiment ou une émotion. Et Diego lui pose beaucoup de questions, s'intéresse, lui montre sa fierté.

J'étale de la sauce tomate sur ma pâte ronde après avoir relevé un peu les coins et jette un coup d'œil aux ingrédients. J'ai toujours opté pour le choix le plus économique : une reine simple, basique, mais efficace. Comme je vois les autres jeter leur dévolu sur les morceaux de poulet rôtis, les tranches de bacon ou de chorizo, je me contente du jambon. Visiblement, ils ont tous leurs habitudes, puisqu'ils piochent allègrement dans les ingrédients sans hésitation. À mes côtés, Sohan s'en donne à cœur joie et met un peu de tout et séparant sa pizza en quatre zones distinctes. Loris est le seul à avoir opté pour une base crème fraîche.

— N'hésite pas, prends ce que tu aimes, me rappelle Charles.

— Oui oui...

J'attrape la coupelle remplie de champignons que Diego a prédécoupés et en garni ma pizza. Je jette un coup d'œil aux olives, poivrons, fromage de chèvre, reblochon, œufs, tomates, mais termine par de l'emmental râpé.

La sonnette retentit dans l'entrée et Diego s'empresse d'aller ouvrir à son ex-femme. Il s'empare de sa valise et disparaît à l'étage avec.

— Alors, cette journée ?

Constance enlève sa veste et l'accroche au portemanteau. Derrière elle, un homme en costume entre et referme la porte. La couleur blond vénitien de ses cheveux ne m'est pas inconnue et, soudain, je me rappelle : c'est l'homme qui m'a ouvert la première fois que j'ai rencontré Constance et Diego. Il retire ses lunettes de soleil et le garde du corps laisse place au père de famille. Ses yeux bleus se posent affectueusement sur son fils qui lui offre un grand sourire.