Chapitre 14

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 Le film est lancé, la lumière est éteinte et, déjà, j'angoisse de sentir le vide derrière ma nuque. Le canapé n'est pas calé contre un meuble, il trône au milieu du salon. J'aurais pu admirer la qualité de la barre de son si seulement elle ne renforçait pas dans mon esprit le silence qui règne dans la maison tout autour.

Je ne cherche pas à comprendre. Je me contente de fixer la plante sous l'écran et de réciter mes cours de physique dans ma tête. Pourtant, la musique à suspense fait s'emballer mon cœur et je sursaute à chaque fois que mon voisin sursaute, comme un écho.

Pourquoi ? Enlever des gens, les enfermer et les laisser s'entre-tuer, agoniser et se mutiler pour sortir. Qui peut-être assez tordu pour en faire un film ? Du coin de l'œil, je devine les ténèbres, là où la lumière de la télévision s'arrête. Un noir profond, abyssal, peuplé d'ombres que je n'ose pas regarder. Je suis simplement là, tétanisé, incapable de boire pour me distraire ou de tendre une main pour prendre une poignée de pop-corn. J'ai beau me concentrer sur ma respiration, je sens quelque chose compresser ma poitrine et seule une pensée claire m'obsède : je dois partir avant de craquer.

Avec un calme surprenant, je me lève et traverse le salon pour monter l'escalier. Mes doigts tâtonnent le mur à la recherche de l'interrupteur et mon pouls s'emballe un peu plus lorsque, plongé dans la pénombre, j'ai du mal à le trouver. Quand le couloir s'illumine enfin, mes nouveaux repères commencent à se reformer. C'est comme si une bulle avait éclaté et que mes sens se retrouvaient exacerbés. Le bruit irrégulier de ma propre respiration résonne autour de moi et je m'empresse de rejoindre la chambre que j'occupe. Pourtant, bien loin de m'apaiser, mes mains se mettent à trembler. La grandeur de la pièce semble amplifier le silence qui règne. De façon compulsive, j'allume ma lampe de bureau, celle posée sur le chevet de mon lit, la lumière du dressing et celle de la salle de bain.

Je dois chasser les ombres.

Mes yeux parcourent frénétiquement la pièce, mais rien ne me semble assez familier. C'est trop grand, il y a trop d'angles morts. Habituellement, je me serais réfugié dans mon lit simple, poussé contre un des murs de ma minuscule chambre. Je titube jusqu'à la salle de bain, ferme la porte et m'accroupis dans l'angle de la douche italienne, les mains posées sur les oreilles pour ne plus entendre ce silence. J'ai beau serrer les lèvres, un gémissement m'échappe, puis un sanglot. Ma vision se floute et les larmes s'échappent.

Pourquoi ? Je ne comprends même pas ce qui m'arrive. Ce soir, le poids qui pèse dans ma poitrine est bien plus douloureux et étouffant. Il m'empêche de respirer convenablement. Je tente de prendre une inspiration profonde, mais l'air est aussitôt chassé de mes poumons. Les yeux écarquillés, je ne peux que laisser la terreur s'emparer peu à peu de moi. Je ne sais même pas ce qui m'effraie ! Je sais simplement que là, tout de suite, ça me submerge complètement, au point d'en claquer des dents et d'en avoir des sueurs froides.

— Aloyse ?

La porte s'ouvre sur Loris et mon souffle s'emballe un peu plus, s'étrangle dans ma gorge. Que fait-il ici ? Je ferme étroitement les paupières, comme si ce simple geste pouvait le faire disparaître. Il ne doit pas me voir comme ça.

— Aloyse ! Qu'est-ce que tu as ?

J'enserre ma tête entre mes mains et remonte mes genoux contre ma poitrine pour y cacher mon visage. Il ne doit pas me voir comme ça.

C'est pas vrai, pourquoi est-il venu ?

Calme-toi bon sang !

Loris force sur mes bras pour me dégager et je tente de résister. Cependant, l'air me manque. Mes yeux papillonnent, essayent de se raccrocher à quelque chose. Sa bouche bouge, mais je n'entends pas ce qu'il dit. Il ne doit pas me voir comme ça. Il plaque alors quelque chose sur le bas de mon visage et je me débats par réflexe, les yeux écarquillés et humides.

Une cuillère et demie de chocolat en poudreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant