Brouillon, esquisse froissée, il jette les dés pipés d'un geste de la main, mal assuré.
Ça tangue, ça bouge, il voit rouge plutôt que de boire son désespoir. Il n'aime pas les vapeurs de la boisson, mais ce soir il n'existe plus de raison. Il est perdu, abbatu sans arme. La chemise déchirée, il hurle -dans sa main les dés - chiré aux vapeurs de rouges : il hurle qu'il brûle.
Il fait chaud sous l'alcool et sa chemise pleine d'auréoles. Il n'est pas un ange, pas un démon : il n'est rien ni personne. Ce soir il perd la raison, sous les étoiles témoins de sa déchéance et le tonnerre qui grogne, tel un chien féroce à qui on refuse son os. Ce soir, il abandonne. Son squelette arpente le trottoir : on ne voit rien dans le noir.
Mais lui sait, il connaît ses fers, sévères. Il a oublié tout le reste, mais il sait que c'était différent, avant. La bouteille dans sa main est le témoin de ses regrets. Pour quels méfaits ? Si seulement il le savait ! C'était il y a longtemps. Pourtant, c'était peut-être hier ?
— Hier ... C'était quand ?
Il rit. Il ne sait plus. La ligne est brisée : c'est pour cela qu'il marche en travers. Ces travers à lui, il les a oubliés, effacés à jamais de son esprit. Optu, il se souvient qu'il doit boire pour oublier ce désespoir dont il ne sait plus rien, mais qui lui donne tant de chagrin.
— Si seulement un train pouvait passer ! dit-il en finissant la bouteille. À mon réveil, je serai libéré !
Et il éclate la bouteille sur les pavés.
— Comme ma tête : Explosée !
Il s'arrête un instant, tête baissée. Ca tangue, ça bouge à ses pieds : équilibre déséquilibré.
La pluie tombe toujours, et le tonnerre gronde, et dans une flaque ses ondes réverbères le papier. Il se penche pour le ramasser et manque de tomber.
Il est froid et froissé, comme lui, il le sait. Sa bouche se tord et il observe le papier détrempé trouvé sur les pavés, d'un œil qui ne sait pas quoi dire. Sur son visage, pas un sourire. Mais il soupire. Il défait le papier et miracle ! celui-ci reste entier. Ce sont des traits noirs au fusain : un visage brouillon. La pluie l'a maquillé.
Les traits sombres coulent comme l'alcool dans une gorgée. Ce sont des traits déchirés qui s'offrent à son regard. Ce qui était autrefois un visage, peut-être son miroir, n'est plus rien maintenant, et ce n'est pas l'effet de la boisson.L'angle de vue n'y change rien, il a trop bu mais il n'y a rien à voir. Les traits sont brouillons, écrasés, il n'y a plus rien à en tirer.
— Je t'aurais bien chanté une chanson pour t'enterrer mon gars, mais je n'en connais pas. Et le seul cercueil que j'aurai, ce sera le mien.
Il froisse à nouveau la feuille aux traits brouillons et la fiche sous sa semelle. Alors que l'encre et la pluie se mêlent sous l'obscurité d'un toit caoutchouc et d'un ciel debout, il la piétine et l'arrache.
Les traits sont morts, parsemés, éclatés : quel triste sort pour ce portrait défait. Il sera oublié, sur le pavé. Et l'autre continue sa route, les dés dans sa poche.
— Si seulement j'avais encore des doutes, j'aurais au moins quelque chose dans la caboche !
C'est ainsi que les choses arrivent, quand on est un chiré aux traits déchirés. Aucun dé ne peut bouleverser la partie.
— C'est fini. Il n'y a plus aucun chemin nulle part. Même celui du hasard est obstrué de désespoir. Je n'ai jamais eu le choix de vivre, j'aurais celui de mourir. Même celui de mourir ivre.
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Les nuits blanches d'Uranus [POÉSIE]
PoetryShakespeare disait, « La poésie est cette musique que tout le monde porte en soi. » Voici mes partitions, à vous d'en jouer avec vos propres histoires.