Chapitre 2

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 Ma respiration se bloque quand l'écho de sa voix revient à moi. Ce son grave emplit ma tête d'une vérité inévitable ; il est ici ! Ma nervosité redouble d'intensité et je ne contrôle plus le tremblement de mes mains. Faites qu'il ne le remarque pas ! Mais, je n'ai pas besoin d'un regard vers mon père pour comprendre qu'il l'a vu. Des quatre coins de la pièce, les gardes du corps quittent leurs emplacements de surveillance pour se diriger vers la source du problème. Mon envie de le rejoindre me démange, mais mon père m'interdit d'avancer. Toute l'attention de mon public s'est tournée vers ce soudain phénomène. Reprendre mon discours ne tuerait pas leur curiosité qui s'agrandit en entendant les propos de notre invité surprise.

— Lâchez-moi ! Je ne partirai pas avant d'avoir entendu la vérité, crie-t-il.

Si sa colère n'attaque aucune personne dans l'assemblée, habituée à ce genre de caprice, elle fait vibrer chaque centimètre de ma peau. On attendrait de moi que j'interpelle cette personne pour lui donner une chance de s'exprimer, mais le minable homme d'affaires que je fais s'est tapi dans l'ombre. Il ne reste qu'un jeune de vingt ans dépourvu d'une moindre réaction. Dans l'immédiat, les subordonnés de mon père auraient embarqué cet individu hors de la pièce et la soirée aurait repris son cours, mais celui-ci parvient à se détacher de l'emprise de ces hommes en les frappant de plusieurs coups de coudes dans le ventre. Sa silhouette se faufile entre les tables et les invités avant de s'arrêter devant mon père qui le regarde de haut. Cette vision ne m'inspire rien de bon, alors je me précipite à leur rencontre. Quand j'arrive près d'eux, mon regard ne s'adresse qu'au directeur de l'entreprise, car je crains de découvrir ces yeux qui me rendront plus faible.

— Eugène, fais-moi le plaisir d'emmener cette personne loin d'ici ! m'ordonne-t-il en contractant la mâchoire.

— Arrêtez d'utiliser votre fils comme larbin pour vous débarrasser de ce qui vous dérange, s'élève la voix à côté de moi.

— Eugène, je ne me répèterai pas une seconde fois, soutient-il en imprimant son regard noir dans mes pupilles.

Je déteste ne pas avoir la force de lui tenir tête et de céder à chacun de ses impératifs. Être élevé par un entrepreneur qui se croit au-dessus de son propre enfant parce que celui-ci n'a pas atteint tout l'accomplissement de son tuteur amène forcément une forme de soumission. Les rares fois où j'ai tenté de m'y opposer n'ont fait qu'alimenter sa prise de pouvoir sur moi. Lui répondre par la négative devant tous ses associés m'offrirait la plus stricte des punitions. Et quand il ne me reste qu'une infime part de ma liberté, je me résigne à obéir.

— S'il vous plaît, monsieur... Pourriez-vous sortir de cette pièce ? demandé-je d'une faible voix en évitant de croiser son regard.

— Tu plaisantes, j'espère...

Son tutoiement envers moi trahit notre proximité et les rumeurs commencent à circuler de part et d'autre de la salle. Je n'ai pas le temps de m'en préoccuper puisque mon père tousse haut et fort pour que j'achève mon devoir. Avec appréhension, je relève la tête et mon regard tombe face à cette expression de dégoût qu'il m'adresse. Je le répugne... Voilà où nous en sommes arrivés. Voilà où tout cela nous a menés. L'âme abattue, je tente de prendre son poignet pour qu'on discute ailleurs, mais il recule d'un pas.

— Ne me touche pas.

— Émile, s'il te plaît... l'imploré-je en acceptant sa requête.

Prononcer son nom me demande plus de courage que je ne l'avais imaginé, mais cela retient au moins son attention. Malgré la proximité de nos corps, le mur qu'il dresse entre nous vient tirailler mes entrailles qui s'efforcent de tenir le coup. J'essaye de lui faire comprendre dans un regard qu'il ne gagnera rien en se comportant de cette façon et que cette situation ne m'amuse pas autant que lui, mais il n'en tient pas rigueur.

Watch me burnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant