Chapitre 8

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Émile souffle pour la vingtième fois depuis le début de cette matinée parce que je lui demande de bouger d'un léger centimètre afin d'être bien en dessous de l'arbre qui le surplombe. Sa curiosité l'a amené à devenir mon modèle pour la journée et je sens qu'il le regrette. Si sa silhouette correspond aux normes de beauté exposées dans les magazines, sa manière de se tenir dévalorise tout le potentiel de mes photos. J'ai imité plusieurs poses pour qu'il les copie, mais le résultat ne s'améliore pas.

— Et si tu...

— Ah, non ! me coupe-t-il. Ça suffit ! Je tourne en rond depuis tout à l'heure. De toute façon, c'était une mauvaise idée dès le départ. Je remballe mes affaires.

— Attends, dis-je en m'emparant de sa veste posée au sol avant qu'il ne la prenne. Laisse-moi réfléchir et je te jure que la prochaine sera parfaite.

J'utilise l'expression faciale qui attendrit ma mère lorsqu'elle m'interdit de voir Mila pour qu'il reste avec moi. La mission échoue quand il fronce les sourcils et que le dégoût désapprouve mon action.

— Ne refais plus jamais ça !

— J'arrête seulement si tu promets de me faire confiance.

— Y a vraiment des personnes qui craquent devant ce truc-là ? demande-t-il en désignant mon visage.

— Ma mère.

— Bah, ça fonctionne pas avec moi !

Je ne le supplie pas de m'aider. Peut-être que son refus est destiné à me dire que mon avenir ne se trouve pas dans la photographie. Émile récupère son blouson et s'en va. Je n'ai plus qu'une semaine pour envoyer mon dossier, mais la démotivation l'emporte sur mes prétendus rêves. J'enlève mon appareil photo de son socle puis m'arrête quand je sens une présence près de moi.

— Tu devrais avoir honte de me faire culpabiliser, déclare la voix à mes côtés.

Son air grognon me fait sourire. Je me retourne vers Émile qui me regarde comme si j'avais piqué son goûter. Je ne sais pas qui de nous deux interprète le mieux un enfant.

— Tu as deux minutes pour mettre en forme tes idées dans ta tête et pas une de plus !

Je voudrais empêcher ce sourire de s'afficher sur mes lèvres, mais l'espoir renaît à l'intérieur de moi et ça grâce à cet homme qui souhaiterait être ailleurs qu'ici. Il tapote sur son poignet droit pour mimer l'heure qui s'écoule, alors je lui demande de m'attendre pendant que j'observe les horizons pour trouver de l'inspiration. Au bout de cinq minutes, je reviens avec la solution qui aurait dû émerger de mon cerveau plus tôt. Émile s'est assis contre l'arbre et consulte son téléphone. J'allume mon appareil photo et attends le moment idéal en m'agenouillant face à lui. Ses fossettes se creusent dans ses joues après quelques minutes. Je capture cet instant et je suis convaincu que ma chance d'être sélectionné se jouera sur toutes les nuances que peuvent apporter les détails de son visage.

— Je vois que ce cliché te satisfait, constate-t-il en inspectant le résultat sur l'écran de l'appareil. Maintenant, raconte-moi pourquoi cette fameuse photo ne devait pas disparaître ?

À mon tour, je m'installe contre le tronc de l'arbre et pose mon fessier sur l'herbe humide due à la gelée hivernale. Émile me redonne l'appareil photo et je défile mes dernières prises jusqu'à celle qui nous intéresse. Mr Storm m'a donné la permission d'emprunter le matériel de la fac pour la journée en me faisant signer une charte concernant le respect du matériel. Comme prévu, il ne reste plus que la version de la photo modifiée de l'autre soir, Mr Storm n'a rien remarqué et a renvoyé le journal aux élèves de la faculté de littérature pour qu'ils le valident et que l'imprimerie fasse son boulot par la suite. Deux semaines plus tard, nous l'avons tous reçu dans nos promos et personne n'a commenté la disparition soudaine d'Émile et du petit doigt d'un de ses camarades de classe.

Watch me burnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant