La côte adverse

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Tempérance regardait le mouvement des herbes vertes, les brins plus hauts pliant sous la brise matinale, les pissenlits meurtris par la marche des passants. Le climat exhalait une odeur de terre humide comme un lendemain d'orage, comme les secondes suivant une averse violente.

Elle n'eut aucun mal à lui mettre le grappin dessus. Il fallait dire qu'il n'était pas bien discret, cet hippie asiatique aux cheveux verts comme une prairie dont on ne voyait pas les racines, somnolant sur un banc les yeux couverts de son écharpe pourpre.

La jeune fille souleva l'écharpe qui agissait comme un barrage à lumière. Elle manqua de sursauter lorsqu'elle découvrit un visage aux yeux déjà grand ouverts, qui ne broncha pas en la voyant penchée au-dessus de lui.

- Connaissez-vous un gamin aux cheveux blonds ? Blonds comme le blé. D'environ cette taille.

Elle plaça sa main un peu en-dessous de son épaule.

- Bonjour à vous aussi.

Finalement, Sou se redressa. Une moue désapprobatrice déforma ses traits et sa mâchoire se serra lorsqu'il renchérit :

- Y-a-t-il un problème avec Ben ?

Donc il connaissait Drowned ou, du moins, l'enfant qu'il avait été.

Sou pointa un doigt accusateur et étrangement menaçant vers Tempérance. '

- Parce que si problème il y a, vous en avez avec moi aussi mademoiselle.

Tempérance croisa les bras, pencha la tête d'un côté pour mieux observer l'hostilité soudaine émanant de celui dont elle ne savait rien.

- Pourquoi ? Vous êtes un peu jeune pour être son père et un peu vieux pour être son ami.

- Avez-vous déjà entendu parler du concept de grand frère ?

Elle dissimula tant bien que mal sa surprise. Rien de bon ne résultait de l'avancement de son enquête, du début de résolution de ce casse-tête aberrant.

Elle essayait tant bien que mal de trouver une solution alternative au meurtre, ou à se résoudre au fait que Sou était une définitive pourriture.

Au lieu de cela, elle venait d'apprendre que Ben planifiait un parfait fratricide.

*

Tempérance s'assit dans l'herbe à côté du banc.

- Je n'ai pas de problème avec votre frère." Elle pouffa presque, un sourire malheureux sur ses lèvres. "Du moins pas encore."

Sou ignora ce dernier commentaire. Il dit plutôt :

- Vous et votre ami n'avez rien à faire à l'auberge. Les gens qui logent ici sont des amis d'amis en majorité. Les seules exceptions sont des touristes paumés ou des jeunes riches qui doivent finaliser leur maison de vacances dans les environs. Sans offense, vos vêtements n'ont pas l'air de provenir de grandes marques parisiennes.

- Et l'hypothèse des touristes paumés ?

- Elle est peu probable considérant que vous ne cherchez même pas à visiter les environs ou repartir au plus vite. Et puis, quel genre de touriste viendrait harceler un pauvre employé du coin pour lui parler de son frère ? Vous êtes qui exactement ? Des Sherlock Homes de seconde main ?

Un sourire de serpent.

- Vous êtes Watson ou Sherlock jeune demoiselle ?

- J'aimerais vous dire Watson, mais mon acolyte a plus des airs de Jack l'éventreur que d'un détective privé.

L'homme rit à gorge déployée. Tempérance laissa son hilarité s'affaisser, disparaître, profitant d'un silence prolongé pour demander :

- Avez-vous pour projet de noyer votre frère, Sou ?

Un temps, un battement de paupières et les yeux qui s'écarquillent légèrement. Le grand frère sourit alors, dévoilant une rangée de dents blanches entre des lèvres roses et fermes.

- Je n'avais pas encore tout à fait opté pour la noyade...

Il se rallongea sur le banc, étirant ses muscles comme un félin paresseux.

-... Mais l'idée n'est pas mauvaise.

L'ombre d'un message [Creepypasta]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant