Pièce

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- Ton oncle était différent.

Elle s'allongea à même le sol, dans l'attente que ses vêtements sèchent. Ils s'étaient trouvés un coin de verdure, non loin du lac, un carré de soleil au détour du chemin qui menait à chez elle.

-Il savait.

Tempérance cueillit un brin d'herbe, l'enroula autour de son doigt jusqu'à ce qu'il se déchire.

-Il savait pour ma malédiction, il en connaissait l'auteur.

Nouvel arrêt.

La jeune fille s'en agaça. Ben avait passé sous silence le moment où elle commencerait à disparaître. Elle respirait, en sablier vivant, sa date limite flottait quelque part au-dessus de son crâne, et elle pouvait même pas en lire les chiffres. Il n'y avait pas de temps à perdre.

- Veux-tu arrêter de composer ? Va à l'essentiel.

Elle haussa les épaules puis continua  :

- Mon oncle était quelqu'un d'intelligent. Cela ne me surprendrait pas qu'il ait pu résoudre ton cas avec facilité.

Le chant des cigales s'intensifia, elle fronça les sourcils. Le son lui rappelait ses vacances à la campagne, ses colonies de vacances d'été interminables... A présent, le cadre la rassurait. Une bulle de nature, bucolique si elle n'avait pas eu à partager l'endroit avec le blond.

Mais plus que tout, Jean s'avérait être l'une des personnes que j'aimais le plus au monde.

Un nouveau brin d'herbe céda dans sa paume, sous ses ongles.

- Et pour ce qui lui est arrivé, Ben, je ne te pardonnerai jamais.

Elle avait soufflé la fin de ses mots. De sa peine profonde naissait une fureur innommable. Ben resta silencieux un moment. Derrière eux, une branche craqua. Le vent, un animal peut-être.

Un affreux sourire se dessina sur le visage du meurtrier. Elle commençait à le connaître. Ce sourire sonnait faux, comme si Ben cherchait à satisfaire l'image qu'elle avait de lui. Un sourire de grand méchant hollywoodien, mais aux lèvres qui tremblaient, l'expression vulnérable. 

- Je t'ai menti.

- Pardon ?

Elle cligna vigoureusement des paupières, plus parce qu'elle ne voyait pas ou il voulait en venir que par réelle surprise. Ses mensonges, elle ne les comptait pas sur les doigts d'une main.

- C'est à dire ?

- Ton oncle ne s'est pas suicidé par ma faute.

Elle se figea. Ses yeux s'écarquillèrent, son coeur accéléra, bourdonnant sans sa poitrine et cognant contre les parois de son crâne.

Nous y voilà.

- Ce n'est pas une information essentielle. Tu n'en as pas besoin, en fait.

Elle rit, l'hystérie vibrante dans le son de sa voix. Elle demanda, plus prudente :

- Es-tu entrain de me dire que, parce que je n'en ai pas besoin, tu n'as pas l'intention de me révéler quoique ce soit ?

- Non, je compte t'en parler.

L'homme s'approcha. Son visage s'était fermé. Elle reconnut la voix monotone que crachait le combiné du téléphone, au début de toute cette mésaventure.

- Tu dois seulement comprendre que je t'accorde une faveur.

- Et en quel honneur ?

Elle se leva. Ils étaient proches. Les cigales ne chantaient plus.

- Tu ne me dis pas ça par plaisir, Ben. Qu'est-ce que tu attends de moi ? Vas-tu m'expliquer ce plan ou non ?

Il sourit par qu'elle avait encore touché juste ; et la réalité l'assomma soudain, comme une enclume.

Ils étaient deux faces opposées d'une même carte. Deux adversaires funambules, qui reflétaient l'autre comme dans un miroir pour maintenir leur équilibre relationnel fragile.

Ils manquaient de chuter à chaque mouvement, chaque parole.

Avant cela, Tempèrance avait rêvé l'être qui la comprendrait, qu'elle comprendrait sans condition ; et maintenant qu'elle se trouvait face à lui, à quelques centimètres du visage dur et fatigué d'un meurtrier, elle ne pouvait se résoudre à l'aimer ou à le haïr.

L'ombre d'un message [Creepypasta]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant