Verre et vert

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De gras éclats de rire et le son d'un accordéon remuaient la pièce. Les verres débordaient de bière, les tables regorgeaient de joyeux ivrognes à quelques exceptions près. Le regard de Tempérance s'attarda sur deux hommes qui discutaient au comptoir, leurs sourires tranchants, le flirt subtil lorsque l'un tendit une cigarette à l'autre.

- "Une chambre pour deux ? Leur demanda la femme de l'auberge.

- Non. Deux chambres. Deux chambres séparées." 

La responsable s'empourpra, confuse. Elle devait au moins avoir la quarantaine au vu des cheveux grisonnants qu'elle prenait la peine de teindre en noir. 

- "Oh, excusez-moi. Vous réglez maintenant ?"

Les pupilles de l'homme rétrécirent, et elle sut qu'il allait dire quelque chose d'innommable. Elle prit la parole avant lui, un sourire sympathique un peu crispé plaqué à la figure.

- "Nous règlerons une fois nos affaires installées, si ça ne vous dérange pas."

Affaires qu'aucun des deux ne transportait, par ailleurs, mais la femme lui apparut immédiatement soulagée, plus détendue. Tempérance se promit de ne plus laisser son associé faire la conversation.

- "Aucun problème, mademoiselle."

Elle se tourna alors vers les deux hommes du comptoir, dont la position avait drastiquement changé. Le plus jeune des deux manqua de s'effondrer du tabouret, l'autre ricana. 

- "Sou. Veux-tu cesser d'importuner ce pauvre Jean et guider nos nouveaux clients jusqu'à la chambre 208 et..." Hésitation légère. "...la 206, s'il te plait ?" 

Jean ?

Le concerné se leva, approuva d'un léger signe de tête. Tempérance remarqua qu'il était un peu plus petit qu'elle : cheveux verts en mèches éparses enfouis sous un bonnet de la même couleur, grands yeux ciel enfantins, écharpe rouge. L'excentricité de l'ensemble la frappa plus que de raison.

- " Ils font travailler les enfants ici ?" Souffla la jeune fille à l'adresse de Drowned.

Mais elle devina, à la mâchoire serrée de l'homme alors qu'il suivait Sou du regard, qu'il n'était pas d'humeur à discuter, ni même à commenter l'apparence de leur guide.

Leurs chambres se situaient à l'étage. Ils durent franchir un escalier en colimaçon grinçant, marcher sur la moquette beige du couloir qui puait l'alcool, contourner une femme assoupie au milieu du chemin.

- " Et voilà !" Dit théâtralement l'étrange garçon, une fois devant deux portes blanches. Au feutre noir y étaient marqués les numéros 206 et 208. Il ajouta, en un sourire qui plissa ses yeux : "Et j'ai 21 ans, madame. Vous n'êtes pas bien discrète."

La pâleur des yeux clairs durcirent.

- "En revanche, je crois que ce monsieur est bien trop vieux pour vous. Encore mineure, non, miss ?"

- Je pense qu'il est temps de laisser la miss  à ses affaires, Sou."

Un ange passa.

- "Nous nous connaissons, peut-être ?" 

Tempérance observa la rigidité dans la posture de son partenaire, son point serré dans l'angle mort de l'excentrique bien que sa figure n'en laissait rien paraître. Oui, Ben le connaissait. Ainsi, elle dit à sa place :

- "Pas du tout. La patronne t'a seulement appelé par ton nom, tout à l'heure."

***

Elle l'avait rejoint presque immédiatement.

"Qui est-il ? Demanda-t-elle, en parlant de leur guide.

- Aucune idée.

- À d'autres."

Les chambres s'avérèrent aussi spacieuses qu'un placard à balais potterien, c'est à peine si il y avait une minuscule salle de bain nichée dans un coin de la pièce. On entendait les autres clients discuter, les murs pas insonorisés pour un sou.

"Nous avons croisé mon oncle tout à l'heure, il me semble. Il était au comptoir. J'ai trouvé suspect une telle coïncidence.

- Quelque chose t'a fait changer d'avis ?

- Maintenant j'en ai la certitude, àcause de ton comportement dans le couloir. Ton plan est intimement lié aux antécédents de ma famille et à ce garçon aux cheveux verts qui nous a accompagnés.

- Très juste.

Il s'assit sur son lit.

- "Je voulais t'épargner l'ennui d'y penser cette nuit mais puisque tu insistes... La voix trainante, mécanique. C'est  lui l'homme que nous allons devoir tuer."

L'ombre d'un message [Creepypasta]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant