CHAPITRE 6: Alena

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Moi, ressembler à mon père ? Non, mais laisse-moi rire ! Pour qui se prend-il ? Il ne sait rien de notre histoire, il n'avait pas à dire ça

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Moi, ressembler à mon père ? Non, mais laisse-moi rire ! Pour qui se prend-il ? Il ne sait rien de notre histoire, il n'avait pas à dire ça. Après une journée de travail avec lui, j'en suis arrivée à la conclusion que nous étions opposés sur toutes nos manières de travailler. Il fait tout dans l'ordre, il ne laisse pas de place à l'originalité ni à la créativité, et finalement aujourd'hui, j'ai compris que le terme "pragmatique" lui allait à merveille. Je suis l'opposée totale, je mets des couleurs partout, je fais des brouillons, je déchire, je recommence. Je ne comprends pas pourquoi mon cher père a jugé brillant de nous mettre ensemble.

À la fin de la journée, nous finissons avec quinze brouillons de ma part et un plan supposé parfait d'Elliott qui ne me convient pas du tout. Après qu'il ait affirmé que je ressemblais à mon père, je me suis renfermée sur moi-même, j'ai mis mon casque et je ne lui ai plus parlé de la journée. À l'heure du midi, il a proposé de commander des salades, ce que j'ai refusé. Pour finir, il est allé m'acheter une part de gâteau, que je n'ai pas mangée. Avant que nous quittions le café, il a demandé à l'adorable serveuse d'emballer la part, puis il l'a glissée dans mon sac, toujours sans un mot.

Lorsque nous sommes rentrés, il s'est terré dans sa chambre et de mon côté, je n'avais pas envie de préparer à manger après cette journée catastrophique. Il est donc vingt-deux heures et je mange la part de Red Velvet devant Gossip Girl lorsque j'entends toquer à ma porte. En ouvrant, je découvre un tout nouveau Elliott. Il a quitté son costume pour un t-shirt noir, dévoilant pour la première fois son cou non caché sous le col d'une chemise. À mon grand étonnement, ses bras sont couverts de tatouages que je meurs d'envie d'analyser un par un. Elliott Grayson n'est peut-être pas si prévisible que ça finalement. Quant à ses cheveux, ils sont mouillés, légèrement ondulés et retombent sur son front, presque devant ses yeux.

« Un deux, un deux, Alena, allô la lune, ici la terre, » me dit-il en faisant des mouvements devant mon visage. Je reprends mes esprits et il répète, « Je disais que je t'ai préparé à manger. Tu as f...? » Il regarde sans effort par-dessus moi et reprend, « Tu es en train de manger une part de gâteau en guise de repas là ? »
Avant que je n'aie le temps de formuler la moindre réponse, sa main entoure la mienne et il me fait sortir de la chambre doucement en direction des escaliers. Mon cœur bat étrangement rapidement, et ma respiration s'accélère, sans que je sois capable de formuler le moindre mot. Comme si tout mon énervement à son égard s'était évaporé.

« Bon, ce ne sera pas parfait, mais j'ai essayé de faire en sorte que ce soit comestible, » dit-il en lâchant ma main. À la seconde où nous ne sommes plus en contact, je me sens soudainement vide, comme si j'aimerais qu'il me touche à nouveau. Qu'est-ce qui me prend ? On dirait une adolescente devant son crush ultime du lycée. Est-ce que je suis rouge comme une pivoine aussi ? Il ne me plaît même pas un petit peu. Pourquoi mon corps réagit comme ça ?

En bas, une odeur divine envahit l'espace et mon ventre grogne d'impatience. Sur l'îlot central, nous attendent deux assiettes de lasagnes fumantes. « Tu n'étais pas obligé de faire ça, tu sais ? On a conclu que c'était moi la cuisinière de cet appartement, » dis-je en m'asseyant. Il me sert une grande part et répond le plus calmement du monde, « Je voulais te présenter mes excuses. Je ne connais pas votre histoire et je n'aurais pas dû te comparer à lui. Mais je veux que tu saches que dans ma bouche, c'était le meilleur compliment que je puisse te faire. »
J'hoche la tête et enfourne une grosse bouchée de lasagnes. J'avais peut-être plus faim que prévu, car je lâche un grognement inattendu qui le fait sourire. Ses lasagnes sont délicieuses. Pour quelqu'un qui n'est pas censé cuisiner, c'est excellent.
« Je pense que tu peux laisser tomber le restaurant asiatique d'en bas. Ce sont les meilleures lasagnes que j'aie jamais mangées ! » Il me regarde fièrement et répond en me mettant une part plus grosse dans l'assiette, « Je passerai les compliments à la personne qui m'a aidé alors ! »

La bouche pleine, je lui lance un regard plein de questions. « J'ai appelé ma maman pour qu'elle me donne les instructions. C'est un peu sa recette phare. Mon papa était italien, on va dire qu'elle a appris à la bonne porte, » me dit-il sans croiser mon regard.
Était ? Il n'est plus en contact avec son papa ? Est-il décédé ? Je ne sais pas quoi répondre. J'ai peur d'avoir la mauvaise réaction, et il le remarque.
« C'est pour ça que ton père et moi, nous sommes si proches. Il a été là lors du moment le plus difficile de ma vie. Quand j'ai perdu mon père il y a quatre ans, j'allais tout lâcher. Les cours ne m'intéressaient plus, et le travail encore moins. Mais il a réussi à me sauver et à me remettre sur le droit chemin. »

Malgré toute la rancœur familiale qui me ronge, je suis contente que ce jeune garçon ayant perdu un parent ait trouvé en mon père un soutien. Je lui présente toutes mes condoléances et dans un élan de courage pose ma main sur la sienne avec une légère pression. Parfois, les actes valent plus que mille mots. Il me remercie chaleureusement, puis nous continuons de manger dans le silence. Il doit être extrêmement fort pour rester debout après la perte de son père. À la mort de mon grand-père, tout s'est effondré. Je comprends exactement pourquoi plus rien n'avait de sens dans sa vie.

Après un long moment sans aucun bruit, il est en train de faire la vaisselle en même temps que j'essuie la vaisselle qu'il me tend. Puis, il demande soudainement, « Pourquoi vous ne vous parlez plus avec Richard ? »
Sa question me laisse désarmée, et je prends quelques secondes pour formuler une réponse cohérente. « Avant la mort de mon grand-père, j'étais la définition d'une fille à papa. J'étais toujours collée à lui. Petite, j'étais sur ses genoux quand il dessinait, il aménageait toujours sa vie très remplie pour être le plus présent possible. Ma mère était carrément jalouse de notre lien. Puis, à mes quinze ans, mon grand-père est décédé. Mon père a dû nous quitter pour partir à New York, et il n'est jamais revenu. Il a laissé ma mère sans mari, sans ressources financières, et surtout, sa fille sans père. »

Après avoir débité tout ça à voix haute pour la première fois, je me sens étrangement plus légère. Pendant mon explication, Elliott hochait la tête comme pour me donner du courage. Cependant, il ne m'a toujours pas répondu. Nous terminons la vaisselle, et nous éteignons les lumières avant d'aller dormir. Nous sommes maintenant illuminés par les lumières de la ville qui ne dort jamais. Avant de lui souhaiter bonne nuit, il me dit devant le pas de ma porte : « N'oublie jamais qu'une histoire a toujours deux versions, Alena. Bonne nuit et repose-toi bien. Chicago nous attend. »
Et aussi simplement que cela, je me retrouve seule, et sa phrase m'a hantée toute la nuit.

Le lendemain matin, le bruit d'un air très connu me sort de mon sommeil, en effet, "Shake It Off" retentit dans tout l'appartement, couvert de la voix d'Elliott chantant comme une casserole. Je sors du lit encore en pyjama et découvre tout ce dont je rêvais dans la cuisine : il y a des baguettes, des croissants et des pains au chocolat. Elliott est en train de se dandiner dans un rythme plus qu'approximatif en me servant un bol de salade de fruits. Le seul point négatif est qu'il a retrouvé son costume, à mon plus grand désarroi.
« Je me suis dit que la France te manquait peut-être. » dit-il en engouffrant un croissant dans sa bouche.
Malgré lui, sa réponse me fait culpabiliser car la France est loin de me manquer. Je ne me suis jamais sentie aussi libre qu'à New York. Ma mère m'harcèle de messages, et je trouve toujours des excuses pour dire que je suis trop occupée pour l'appeler. Je suis officiellement la pire fille de la planète. À ma décharge, elle me pose une tonne de questions sur mon père auxquelles je n'ai pas de réponses, car je ne l'ai vu que le premier jour, assez brièvement.
Évidemment, au lieu de raconter mes problèmes ridicules à Elliott, je me contente de le remercier, et nous continuons de chanter toute la matinée. Je ne l'aurais jamais cru, mais je crois qu'il facilite grandement mon adaptation à New York.

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