CHAPITRE 14: Alena

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L'ambiance dans la voiture est délétère, Elliott est cramponné au volant, les articulations des mains rouge sang

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L'ambiance dans la voiture est délétère, Elliott est cramponné au volant, les articulations des mains rouge sang. Parlons-en de la voiture, c'est un imposant 4x4 que je n'avais jamais vu, tout comme je n'avais jamais vu Elliott conduire. Sa respiration est haletante, et il n'a pas décroché un mot depuis que nous avons quitté l'Empire State Building, ce qui est loin de lui ressembler. Est-il furieux que j'ai accepté de danser avec Nate?

Sur la banquette arrière, à côté de moi, Lexie n'a pas lâché ma main depuis que je l'ai rejointe. Qu'est-ce qu'elle sait précisément? Devançant ma question, Lexie s'écrie, « Bon! Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il se passe? » La route est calme, il est tard, nous ne devrions pas tarder à arriver. L'ambiance est pesante, et aucun de nous deux ne répond à une Lexie plus qu'impatiente. Elliott m'observe dans le rétroviseur, et je ne peux m'empêcher de ressentir de la culpabilité, évitant donc son regard. Je me concentre sur Lexie et lui fais comprendre d'un regard qu'elle saura tout lorsque nous serons à la maison. Je ne sais pas ce que je vais lui dire; à son âge, elle ne doit pas être confrontée à tant de violence.

Lorsque nous arrivons à l'appartement, Elliott sort de la voiture, sort le fauteuil du coffre, et porte Lexie jusqu'à celui-ci. « Ça va aller ce soir? » me demande-t-il d'un ton neutre, sans émotion. S'il parle de Lexie, oui, ça va aller. L'appartement a un ascenseur et tout est homologué pour son fauteuil; elle est très indépendante et se débrouille presque sans aide dans son quotidien. Donc, oui, ça va aller. Si sa question est pour moi, alors non, sans lui, ça n'ira pas. J'ai envie de lui crier de rester à mes côtés, de rester vivre avec moi, que je m'en fiche de son mensonge. Ses yeux ne quittent pas les miens; je ne veux pas qu'il parte. Alors que je cherche la force de répondre, il m'achève, « Je passe prendre mes affaires demain. Dormez bien, les filles. » dit-il, brisant notre lien.

Si je pensais que le plus dur serait de lui dire au revoir, il n'en est rien. Le plus difficile est de ne pas pouvoir faire un pas dans ce fichu appartement sans croiser quelque chose qui me fait penser à lui. Le reste des choux qu'il aime tant, ses chaussures organisées au centimètre près à côté des miennes éparpillées partout, et enfin cette odeur. Cette odeur que je ne pourrai jamais séparer de lui. Un parfum fort et caractériel, pourtant si doux et rassurant.

Étonnamment, Lexie est très calme. Elle observe l'appartement dans un silence si inhabituel pour elle. « Tu as envie de quelque chose à boire ou à manger? » je lui demande pour briser ce silence mortuaire tout en attachant mes cheveux dans une queue de cheval approximative. Lorsqu'elle se retourne, je lis l'effroi sur son visage; elle s'approche de moi doucement. « C'est le cousin de Liam qui t'a fait ça? » demande-t-elle alors que je me dirige vers le miroir pour voir l'étendue des dégâts. « Il m'a envoyé un message lorsque j'étais dans la voiture pour me dire que sa famille avait coupé tous les liens avec Nate depuis bien longtemps et qu'il s'excusait au nom de tous les Dilaurentis; sur le coup, j'ai pas compris, mais maintenant tout s'explique. »
Les traces sur mon cou sont rouge sang, mon lobe a perdu une boucle d'oreille tant il a été sauvage.

Automatiquement, mon corps se remémore ses mains sales sur mes hanches, sur mes fesses. J'en ai la nausée. Je sèche rapidement la larme qui coule sur ma joue et me dirige vers Lexie. Je m'accroupis à son niveau. « Ce que je te propose c'est qu'on aille se démaquiller et qu'on aille enlever ces robes tout sauf confortables. Il est tard; tu dois te reposer. » Pour une fois, elle ne me contredit pas, et nous montons à l'étage des chambres. « Je peux dormir avec toi? » murmure-t-elle si doucement que j'ai failli ne pas l'entendre. Je crois que j'en ai tout autant besoin qu'elle.

Quatre heures trente, c'est ce qu'indique l'horloge lorsqu'enfin nous nous glissons sous les draps. Voyant pour la première fois Lexie à l'œuvre dans ses tâches quotidiennes, je dois dire que je suis impressionnée. J'ai juste dû l'aider pour monter dans le lit étant donné qu'elle n'avait pas ses aides habituelles. Même si nous avons passé une soirée plus qu'agitée, j'ai l'impression que dormir ne sera pas pour tout de suite. Face à face dans le lit, elle lâche finalement, « Je comprends que tu ne veuilles pas m'en parler, ou que tu n'y arrives pas. Mais tu ne peux pas garder pour toi; tu dois te libérer et en parler à quelqu'un, Nana. » Elle ferme les yeux et poursuit doucement, « Après mon accident, j'ai tout gardé pour moi, je repoussais tout le monde, et le jour où tout a explosé, c'était pas beau à voir. J'ai commencé à guérir quand je me suis ouverte aux personnes qui me tendaient la main. » conclut-elle en rouvrant les yeux.

À seulement dix-sept ans, c'est elle la plus sage de nous deux. À l'aube de son envol pour l'université, elle va pouvoir découvrir la vie d'une jeune femme indépendante dans sa nouvelle maison. Je savais qu'en acceptant ce dossier, j'allais découvrir une fille merveilleuse. Après quelques secondes de calme plat, dans la pénombre de la chambre légèrement éclairée par la nuit new-yorkaise, j'ose enfin poser la question qui m'intrigue tant.

« J'ai l'impression qu'on est assez proche pour que je puisse te demander cela, et je comprendrais entièrement si tu ne... » elle m'interrompt au beau milieu de ma phrase, « Ne t'inquiète pas, tu as le droit de me demander la cause de mon accident, c'est pas tabou. » elle me regarde et sourit légèrement, elle n'a pas l'air triste, ni en colère. « C'était il y a presque deux ans, le jour de mes 16 ans, je pouvais enfin prendre la voiture toute seule pour aller au lycée. Mes parents m'avaient fait travailler tout l'été à l'administration de leur cabinet pour que je mérite ma voiture. Petite aparté, c'était absolument affreux, j'étais aux archives; je devais trier des papiers plus vieux que moi et certainement plus vieux que toi! » au beau milieu de son histoire, nous éclatons de rire. Ça ne m'étonne pas d'Emily et William!

« Je m'en souviens comme si c'était hier; j'avais mis mes plus beaux habits, j'étais la plus heureuse du monde, c'était le début de la liberté! Quand on me voit maintenant, y'a de quoi rire, sacrée liberté hein! » son sourire s'efface légèrement, et je caresse doucement son épaule pour lui donner du courage. « Avant que je parte, maman était terrifiée jusqu'à la dernière seconde; elle a hésité à me laisser partir. Elle disait me faire confiance à moi, mais pas aux autres conducteurs. Mais j'ai réussi à la convaincre, et je suis partie. Au bout de la rue, à une intersection où j'étais prioritaire, je suis passée prudemment, mais je n'ai pas pu éviter la voiture qui s'est jetée sur moi. Un homme m'a percuté de plein fouet côté passager; j'ai eu de la chance, si ça avait été de mon côté, je ne serais pas là pour te raconter mon histoire. »

Elle fait une pause dans son récit et tente de retenir ses larmes. Je la serre dans mes bras doucement, incapable de trouver des mots assez puissants pour décrire la rage que je ressens. C'est la première fois que je la vois vulnérable. « C'était un homme en retard pour le travail; malheureusement pour moi, il a trouvé judicieux de se faire un petit cocktail drogue et alcool avant de monter dans sa voiture. Il doit le regretter actuellement car faire la guerre face à mes parents c'était perdu d'avance. Ils n'avaient pas le droit de me représenter, mais ils connaissent toutes les ficelles du métier, et puis j'étais mineur au moment des faits, la justice allait forcément être plus dure. Le plus important pour moi était qu'il ait accès à des soins pour se soigner de son addiction, et même si mon père n'était pas d'accord avec moi, nous l'avons convaincu avec maman. Le procès a été très rapide, aujourd'hui il est en prison et je ne peux pas savoir où il est avant mes vingt et un ans. »

Elle ne pleure plus, elle a repris des forces. « Tu es une jeune femme courageuse, Lex, n'oublie jamais que la force que tu as en toi te fera tout surmonter, même le plus dur. Merci d'avoir partagé ton histoire avec moi.» lui dis-je sincèrement. J'ai l'impression d'avoir la petite sœur que je n'ai jamais eue en face de moi. Doucement, dans une dernière étreinte, elle murmure doucement, « Bien joué, tu as évité mes questions, mais demain tu auras l'obligation de tout me raconter sur Elliott et toi. » nous rions une dernière fois avant de nous endormir paisiblement après cette longue, trop longue journée.

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