CHAPITRE 3: Elliott

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Sur le chemin de l'appartement, son regard est rivé sur la vitre ; elle semble émerveillée par les rues de New York

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Sur le chemin de l'appartement, son regard est rivé sur la vitre ; elle semble émerveillée par les rues de New York. Elle incarne le paradoxe, étant à la fois la fille et la petite-fille d'architectes de renom de la ville, avec certainement une somme sur son compte en banque que je n'atteindrais jamais, même en travaillant jour et nuit. Cependant, les traits de son visage sont doux et dénués de maquillage. Deux mèches encadrent son visage, et le reste de ses cheveux blonds bouclés est attaché négligemment en queue de cheval. Son ensemble de jogging gris est objectivement trop grand pour elle, et ses Converse roses sont tachées et ornées d'écritures en tout genre. Comment c'est possible d'être à couper le souffle sans fournir le moindre effort? Elle est à l'opposé de tout ce que j'avais imaginé d'elle. Je m'attendais à une petite prétentieuse pompeuse, habillée en haute couture, mais nous sommes bien loin de tout cela. Lorsque Richard m'a expliqué la situation, j'ai immédiatement fait des recherches sur elle. Hormis ses comptes professionnels, tous ses comptes personnels sont privés, avec très peu d'abonnés.

Ce matin, dans l'ascenseur, je savais parfaitement qui elle était. Comment ne pas la reconnaître ? Je décide de la sortir de ses pensées pour éloigner les miennes par la même occasion. « Je suis désolé d'habiter dans ton appartement, c'est une succession d'événements malheureux. Je vais récupérer mes affaires dès notre arrivée. » Elle me répond sans quitter des yeux la vitre. « Cet appartement ne m'intéresse pas. Je n'ai pas accepté de travailler avec vous pour ça. Je ne connaissais même pas son existence il y a une heure. » Sa phrase est interrompue par un bâillement, puis elle reprend. « Tu en as objectivement plus besoin que moi après l'incident dans ton propre appartement. » Sa réponse me laisse sans voix. Elle a la possibilité de vivre dans un somptueux penthouse, et cela ne l'intéresse pas.

Je m'apprête à lui répondre lorsque je vois ses yeux se fermer doucement, et sa tête se reposer sur la vitre. Nous arrivons dans une dizaine de minutes, et je pense que cela ne lui fera pas de mal de se reposer un peu après la journée qu'elle vient de passer. Lorsqu'elle est assoupie, je prends le temps de la regarder. Elle a l'air exténuée, ses lèvres sont légèrement entrouvertes, et je n'arrive pas à détourner les yeux de son visage. Même au bout de ses forces et après huit heures de vol, elle est particulièrement jolie. Me rendant compte que j'ai l'air d'un psychopathe, je détourne le regard et patiente pendant les dix minutes les plus longues de ma vie.

Une fois que George se gare, je l'appelle doucement, mais rien n'y fait, elle ne se réveille pas. Je la touche doucement à l'épaule, et elle sursaute lorsque la paume de ma main entre en contact avec son corps. « Pardon, je ne voulais pas te faire peur. Nous sommes arrivés. » Elle s'étire et se redresse comme un piquet sur la banquette. « Tu es arrivé, pas moi. Demande à George de me déposer à mon hôtel, s'il te plaît. » Je soupire doucement. « Alena, c'est ton appartement, et tu as l'air exténuée. Passe la nuit chez toi. Il y a trois chambres et ton bureau. Tu ne me remarqueras même pas, et si cela te gêne, c'est moi qui vais dormir à l'hôtel, pas l'inverse. » Je déclare le plus calmement possible. Elle semble écouter les voix dans sa tête et peser le pour et le contre, quand finalement elle lâche : « D'accord pour cette nuit. » Sans plus élaborer, elle sort de la voiture et salue George au passage.
Il m'interpelle avant que je parte : « Demain matin à la même heure que d'habitude, monsieur Grayson ? Nous pourrons faire d'une pierre deux coups ! » Je ris à sa remarque et lui chuchote : « Rien n'est encore gagné, George ! Bonne soirée, et embrasse les garçons pour moi. » Il acquiesce et part en nous saluant de la main, un grand sourire aux lèvres. Je me retourne et découvre une Alena émerveillée devant le bâtiment. Je prends ses valises, elle me remercie brièvement, et nous rentrons dans l'immeuble.

Une fois dans l'ascenseur, je badge, nous commençons notre ascension, puis elle lâche d'un coup : « Je suis désolée si j'ai l'air d'être une sale peste prétentieuse. J'ai des relations assez complexes avec mon père, et le voir si proche de toi, et même t'appeler son fils, ça m'a mise hors de moi. Je suis une fille bavarde en temps normal, mais aujourd'hui, c'est facilement dans le top trois des pires journées de ma vie, et je suis extrêmement fatiguée. Et puis, d'ailleurs, qui offre des appartements comme ça sans raison ? Et pourquoi ai-je accepté de venir ici ? Je ne connais absolument personne, et j'ai l'impression d'être un éléphant dans un cours de danse classique. »

À la fin de son monologue, elle reprend son souffle en me regardant droit dans les yeux lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur l'entrée de l'appartement. « Un penthouse, je n'en attendais pas moins de Monsieur Hilton, tiens ! Tu me fais visiter ? » Un peu décontenancé par son regain de parole, je la laisse sortir en première de l'ascenseur. « Bienvenue chez toi », dis-je en écartant les bras comme un agent immobilier un peu cliché. Elle ricane doucement puis avance vers le salon et la cuisine ouverte. L'appartement est magnifique et remarquablement bien situé à New York. Les grandes baies vitrées offrent une vue sur le ciel orangé des dernières soirées d'été, ce qui colore chaleureusement l'appartement. Outre le ciel, c'est la vue sur Central Park qui monopolise l'attention. Les gens semblent petits comme des fourmis à cette hauteur, mais le lac lui ne perd rien de sa taille immense.

Lorsque je me concentre à nouveau sur elle, ses mains glissent sur l'îlot central de la cuisine vert sapin. « Je reconnais sa patte dans cet appartement. » Elle n'a pas tort, le salon est plus bas d'un demi-niveau, encastré dans le sol, accessible par cinq marches, ce qui crée un coin plus intime. Les canapés et fauteuils sont d'un beige qui permet à la cuisine foncée de ne pas assombrir l'appartement. C'est typiquement le style et la spécialité de son grand père. « Tu ne cuisines pas ? » demande-t-elle en refermant le frigo flambant neuf, presque jamais utilisé. « On va dire que le traiteur asiatique d'en bas me satisfait amplement. »

Elle ricane puis nous poursuivons la visite de l'appartement dans le silence. Je lui montre la chambre que j'occupe, située à la partie supérieure de l'appartement. J'ai déduit en arrivant ici que ce n'était pas celle qui lui était destinée, car elle est beaucoup moins spacieuse et chic que la suite au bout du couloir. « Tu m'avais parlé d'un bureau ? » me questionne-t-elle en sortant de la chambre où je dors. « Oui, bien sûr. Il se trouve à l'intérieur de ta suite, la première porte à droite. » Elle détourne le regard puis se dirige vers sa chambre. Elle reprend sans même me regarder : « Attends-moi ici, j'arrive. »
Puis je me retrouve à l'attendre ici, stoïque, plein de questions. Elle a certainement besoin de souffler un peu. Quelques minutes plus tard et essoufflé d'avoir monté ses valises, elle revient avec un post-it rose à la main.

« Est-ce que tu peux acheter ça, s'il te plaît, le temps que je me douche ? J'ai vu qu'à côté de ton super restaurant chinois se trouvait une supérette. Je me suis dit que je pourrais nous préparer à manger, ça te changera. Tu peux prendre mon porte-monnaie, il est... » Je la coupe avant qu'elle ne termine sa phrase et qu'elle ne devienne encore plus rouge qu'elle ne l'est déjà. « Je m'occupe des courses », lui dis-je en m'éloignant. « À tout à l'heure. » Je termine ma phrase dans un français plus que bancale qui a suffi à la faire sourire. « À tout à l'heure, Elliott », conclut-elle, et je n'ai jamais entendu mon prénom être dit avec une si jolie prononciation. Après quelques heures en sa présence, je peux affirmer qu'Alena Hilton est pleine de surprises que j'ai hâte de découvrir.

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