Chapitre 1 : La Sorcière des bois

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« Par delà les murs de la grande Cité, vivait une sorcière.

Son domaine s'étendait de l'orée de la forêt à l'horizon que la brume cachait derrière son voile. La sorcière vivait paisiblement dans les bois. Lorsqu'elle parcourait les chemins tracés au fur et à mesure de ses nombreux passages, elle cueillait toutes sortes de plantes, de feuilles, de fruits et d'herbes qu'elle mettait ensuite dans ses potions, ses soupes ou ses confitures. Les fleurs déroulaient sous ses pieds nus des tapis de pétales doux et parfumés, et les arbres saluaient son passage par d'élégantes révérences qu'elle rendait en déployant le jupon de sa robe de laine. Elle se tenait bien sur deux jambes, mais la Sorcière n'était pas très différente de ceux qui vivaient autour d'elle, en vérité. Sa maison était creusée dans un arbre, comme le nid des écureuils. Les chansons qu'elle fredonnait reprenaient en canon celles sifflées par les insectes. Comme les chevreuils, elle aimait les baies sauvages, comme les loups, elle ne refusait jamais un bon morceau de lapin et comme les chouettes et les chauves-souris, elle adorait l'heure du crépuscule.

- Est-ce que la sorcière vivait seule ?

- Oui et c'était sa volonté.

- Mais où étaient ses parents ?

- Elle n'en avait plus depuis longtemps.

- Elle n'avait pas de frères ou de sœurs avec qui jouer ?

- Elle en avait eu lorsqu'elle était enfant. Mais écoute bien ceci : la sorcière demeurait à distance de la Cité car la Cité était bruyante et avide. La cité regorgeait de monde, elle débordait de vies affolées qu'elle broyait, inlassablement, semblable aux grosses meules qui écrasent le blé pour faire de la farine. Depuis l'autre côté des remparts, la sorcière entendait parfois le hennissement plaintif des chevaux dont on battait les flancs, les braiments malheureux des ânes aveugles enfermés dans les forges, le grincement du métal contre le métal, les aboiements de chiens fous étranglés par les longes et battus à coups de bottes. A la nuit tombée, les rires gras d'hommes couvraient les cris effrayés de jeunes filles, les os des poings heurtaient la chair des corps, guidés par l'odeur nauséabonde de la bière et celle des boissons imitant avec grossièreté les breuvages des dieux. Tout n'y était que feu, fumées, cris et peines.

- Pourquoi est-ce que la Cité était si affreuse ?

- La Cité n'était pas affreuse. La Cité obéissait simplement à son Seigneur qui lui, était le plus cruel des dieux.

- Alors la sorcière avait raison de rester cachée dans les bois.

- Je ne te le fais pas dire. Elle se contentait des bois et tout se passait pour le mieux. Cependant, il ne plaisait guère au Seigneur gouvernant la Cité qu'une Sorcière ne vive près de lui.

- Pourquoi ?

- Parce que le Seigneur craignait la Sorcière.

- Mais elle ne lui a rien fait !

- Mais lui, il lui avait fait quelque chose.

- Qu'est-ce qu'il avait fait ?

- Le Seigneur avait volé quelque chose à la sorcière.

- Et il avait peur qu'elle vienne le lui reprendre ?

- Ce n'était pas quelque chose qu'elle aurait pu lui reprendre.

- Qu'est-ce que c'était ?

- Ce n'était pas ça, qui importe le plus.

- Alors, qu'est-ce qui faisait peur au Seineur ?

- Seigneur, mon chéri. Répète : le Seigneur. 

- Le Sei-gneur.

- Parfait. Et bien, le Seigneur était un être malin qui savait duper son peuple. Il avait réussi à faire croire à ses sujets qu'il n'était pas responsable de leur pénible existence, que leur travail acharné était le propre des mortels et que lui seul pouvait leur donner une quelconque valeur, que lui seul pouvait leur octroyer richesse et reconnaissance. Le Seigneur se faisait passer pour un protecteur, blanc, exempt de tous crimes et doué de clémence. Or, la Sorcière savait bien que tout cela était faux. Le Seigneur craignait que la Sorcière ne vienne lui arracher le cœur, et qu'elle ne montre à tous ses sujets quelle âme noircie et sèche pouvait battre dans sa poitrine.

[Réécriture TOME 1] L'Enfant d'AsgardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant