Chapitre 2.1 : La justice selon Psamias

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Noyée sous les chuchotements fiévreux de ses camarades, Hayalee garda le regard braqué sur la statue profanée. Les mêmes questions flottaient sur toutes les lèvres : qui avait fait ça ? Pourquoi ?

La doyenne émergea des profondeurs de l'académie, accompagnée de plusieurs maîtres. Ils avaient l'air d'une volée d'oiseaux en furie, avec les pans de leur toge flottant dans leur sillage. Alors qu'ils fendaient la cour en direction des élèves rassemblés au pied de la statue, la doyenne glissa quelques mots à ses confrères et l'un d'eux se détacha du cortège pour filer dans les rues animées de Karakha.

Comme s'ils craignaient qu'une trop grande proximité avec l'objet du crime ne les fasse passer pour coupables, les enfants s'écartèrent de l'ange. La doyenne s'arrêta près de la statue qu'elle détailla de haut en bas, lèvres pincées, narines frémissantes.

— Qui ?

Son regard sévère balaya les élèves :

— Qui a osé ? Que le responsable se dénonce sur le champ si il ou elle ne veut pas aggraver sa situation !

Hayalee, comme le reste de ses camarades, regarda autour d'elle, attendit de voir une main se lever ou le coupable avancer. Personne ne bougea, personne ne broncha.

— Très bien, dit la doyenne en resserrant les pans de sa toge d'un geste sec. Soyez sûrs que nous trouverons qui a fait ça. Ce genre de blasphème ne sera pas toléré ! Si vous n'avez rien à confesser, dépêchez-vous d'aller en classe.

Les élèves la prirent au mot et coururent presque à l'intérieur du bâtiment. Suivant le flot, Hayalee gravit l'escalier en chêne qui montait dans les étages. Sitôt arrivée au premier, elle se précipita à la balustrade de la galerie, imitée par la majorité des écoliers. Ce n'était pas la première fois que la tranquillité de l'académie se voyait troublée par un perturbateur avide de se faire remarquer, mais cet acte-là tranchait avec les bêtises habituelles. Ça ne ressemblait pas à l'œuvre d'un plaisantin, mais à une accusation très sérieuse. Tandis que leur maître d'Histoire les enjoignait à entrer en classe, Hayalee s'attarda sur le mot inscrit au noir.

Mensonge. Quel mensonge ?

Réalisant qu'elle serait bientôt seule dans le corridor, Hayalee se dépêcha de rattraper le troupeau. Elle eut le temps d'aviser deux veilleurs en uniforme bleu pâle pénétrer le patio pour venir à la rencontre de la doyenne.

La salle de classe dans laquelle Hayalee se faufila était toute en longueur, traversée par deux rangées de pupitres en cèdre rouge dont l'usure témoignait des générations d'élèves qu'ils avaient vues défiler. Les murs étaient tapissés de cartes du monde et de représentations de leur pays, des plus anciennes aux plus récentes, de quelques devoirs particulièrement réussis – pas ceux d'Hayalee, en l'occurrence – et d'une frise chronologique retraçant les dates importantes de leur Histoire.

Hayalee se fraya un passage entre ses camarades qui s'installaient bruyamment et se laissa tomber à sa place habituelle, au fond de la pièce, près d'une fenêtre qui donnait sur la ruelle. Autour d'elle, les adolescents n'en finissaient plus de commenter l'incident, chacun allant de sa petite théorie sur l'identité du – ou des ? – fautif à grand renfort de chuchotements. Sur sa droite, Hayalee capta les élucubrations de Siméas à propos d'un supposé complot visant à renverser le gouvernement. Selon lui, les graffitis seraient l'œuvre d'un groupuscule secret et dissimuleraient un message codé adressé aux élèves pour les endoctriner. Dans un registre moins farfelu, Mahéry, qui approchait en compagnie de Lina, souffla :

— Je parie ce que tu veux que c'est encore un coup de ce gros empoté de Bamir ! Tu te rappelles la fois où il a déposé une bouse de shrink devant le bureau de la doyenne ?

Derrière les Portes ~ I. Le Feu et l'ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant