C'était le solstice d'été, l'anniversaire d'Hayalee et le jour de l'année qu'elle détestait le plus.
Dans la lueur de l'aurore, les tombes blanches du cimetière scintillaient comme de la neige. Un bien beau spectacle pour un bien mauvais moment. Debout derrière ses grands-parents et sa grande sœur, Hayalee réprima un bâillement. Sa grand-mère s'accroupit avec difficulté pour déposer le bouquet d'astroemeria sur la pierre tombale. Les boucles de ses cheveux semblaient plus grises, aujourd'hui, fatiguées, comme sa voix :
— Déjà quinze ans, dit Isilna. Quinze ans que les anges ont emporté son âme pour la ramener auprès du Seigneur.
Mylina lui attrapa le bras pour l'aider à se relever. La grand-mère s'y cramponna, comme si sa petite-fille était la seule chose qui l'empêchait de s'effondrer. Mylina, elle, était droite ; digne dans sa toge d'apprentie juge, mais belle, aussi, même le visage abîmé par la tristesse.
À leurs côtés, Phylias avait ôté son béret qu'il tenait serré contre sa poitrine. Tandis que sa femme entamait une prière, il jeta un œil par-dessus son épaule et haussa un sourcil en découvrant Hayalee en retrait :
— Eh ben alors, gamine ? Tu vas rester plantée là comme un radis ?
Il leva le bras dans une invitation à laquelle Hayalee ne put résister. Elle se réfugia contre son grand-père avec plaisir. Ses yeux tombèrent sur la stèle et la joie s'évapora.
« Karïl Hélé Draïs,
994-1023
Une fille,
Une épouse,
Une mère. »
— Vous avez préparé vos lettres ? demanda Isilna après qu'elle eut fini de remercier les dix archanges.
Mylina glissa la main dans sa sacoche et en tira une jolie feuille de papier incrustée de pétales de fleur. Le cœur d'Hayalee bondit : elle n'avait rien préparé – rien qui soit digne de l'instant, en tout cas. Fouillant sa besace, elle trouva un petit rouleau de parchemin écrabouillé sous ses livres de cours.
— C'est tout ? commenta sa grand-mère en avisant le mot froissé dans la main d'Hayalee.
— On est pô tous aussi bavard que toi, dit son grand-père.
C'était toujours mieux que les trois années précédentes, où Hayalee s'était contentée d'une feuille blanche. Quand les deux sœurs étaient plus jeunes, c'était une tradition réconfortante : écrire une lettre pour leur mère et la brûler pour que l'ange Lylyar porte le message jusqu'à Karïl, au paradis. Mais Hayalee ne savait plus quoi écrire. Qu'est-ce qu'on pouvait raconter à quelqu'un qu'on n'avait jamais connu ? Un peu honteuse, elle en était arrivée à brûler des parchemins vierges, sans que personne n'en sache rien. La veille au soir, elle avait à nouveau confronté la page blanche. Dans un élan, elle avait fini par inscrire un mot. Un unique mot, griffonné sur un coin de parchemin qu'elle avait ensuite jeté au fond de son sac. Elle n'avait pas sérieusement songé à le brûler, mais elle n'avait rien d'autre à disposition – à moins d'envoyer ses cours de trigonométrie à sa défunte mère ?
Mylina lui remit sa lettre soigneusement pliée et Phylias, le briquet à amadou. Hayalee s'accroupit devant la stèle et fit rouler la molette du briquet sous son pouce, provoquant des gerbes d'étincelles : une fois, deux fois et la mèche s'enflammait déjà. Pour ce qui était d'allumer le feu, Hayalee était plus rapide que n'importe qui.
Elle enflamma la lettre de sa sœur, la déposa dans le bol, sur la dalle de la tombe, puis mit le feu à son petit rouleau de parchemin qu'elle utilisa pour allumer les cierges. Une seconde, son regard s'attarda sur la flamme qui grignotait le papier en remontant vers ses doigts.
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Derrière les Portes ~ I. Le Feu et l'Âme
FantasiPaix, Justice, Vertu. Du haut de ses 15 ans, Hayalee a toujours cru aux valeurs défendues par la nation de Psamias. Le jour où elle se découvre de dangereux pouvoirs, elle comprend à quel prix s'est achetée la prospérité du pays : celui du sang. Tr...