Chapitre 3.2 : La chute

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Elle coupa à travers le potager en prenant garde à ne pas trop piétiner les salades, enjamba la bordure de cailloux qui délimitait le jardin et fila sans se retourner.

L'église, où Hayalee s'était rendue le matin avec ses grands-parents et sa sœur, se situait sur le Douzième et dernier cercle, à la périphérie de la ville. Elle y serait assez rapidement, même en passant par les petites rues.

Sa maison disparue, elle cessa de courir afin de ne pas attirer l'attention de ses concitoyens. Elle remonta les venelles, se faufilant entre les habitations, derrière les jardins, loin des grandes voies. Peu de gens s'aventuraient dans ces allées tortueuses, pourtant Hayalee tourna plus d'une fois la tête, persuadée d'être suivie par des bruits de pas. Sûrement l'écho de ses propres foulées qui rebondissaient entre les murs trop rapprochés.

Elle atteignit très vite les abords du Dixième cercle et marqua un arrêt. Malgré les recommandations de Ludwig, elle n'avait d'autre choix que de franchir les Dixième et Onzième cercles si elle voulait regagner le Douzième. Après avoir vérifié à droite et à gauche qu'il n'y avait pas de veilleurs ou de soldats, elle allait s'élancer quand le cri perçant d'un rapace la stoppa dans son élan. Elle leva les yeux au ciel. Une patrouille de soldats fila au ras des toits, montés sur des aigles de Bùsen. Hayalee se ratatina dans l'ombre d'une maison et les oiseaux géants passèrent au-dessus de la ruelle à toute vitesse, soulevant des bourrasques de vent.

Hayalee resta statufiée quelques secondes, redoutant de les voir revenir. Mais l'unité volante ne revint pas et elle se secoua mentalement pour se remettre en marche. Elle traversa les deux pâtés de maisons restant en prenant garde à ce qui se passait au-dessus de sa tête autant qu'autour. Par chance, elle ne croisa aucune autre patrouille.

Le Douzième cercle était peu fréquenté dans les quartiers sud-est. Il n'y avait rien d'intéressant par là, rien que des habitations, pas vraiment de commerces, peut-être une auberge. Les quelques personnes qu'elle croisa la regardèrent à peine et, quand ils le firent, ils lui sourirent et la saluèrent avec bonhomie. Hayalee fit de son mieux pour répondre avec le même naturel.

L'église se dressait entre deux maisons, à l'orée des bois. Hayalee ralentit à son approche.

Blanche, en forme de croix, une coupole ronde au sommet de son clocher, l'édifice était petit et modeste, plus digne d'une province que d'une grande ville. Hayalee n'aurait pas pensé être de retour ici avant l'office du lendemain. Le souffle court et les jambes en coton, elle n'alla pas tout de suite se réfugier à l'intérieur, mais contourna la bâtisse. Et si sa grand-mère était revenue se recueillir sur la tombe ? C'était bien son genre.

Le cimetière se trouvait derrière, cerné par un muret en pierres couvert de mousse. Hayalee passa le portail et se glissa entre les tombes décorées de couronnes de fleurs, de plaques de vœux et d'offrandes.

Il n'y avait personne.

Dépitée – ou soulagée ? – de ne pas trouver sa grand-mère, elle avança jusqu'à la tombe de sa mère. Les traces de suie étaient toujours là, avec le bouquet de fleurs jaunes, les cierges fondus et le bol. Des morceaux de parchemin subsistaient au milieu des cendres. Hayalee s'accourpit, ramassa ce qui restait de son petit rouleau et l'ouvrit. De son mot, le feu n'avait laissé qu'une rune. La première du « Pardon » qu'elle avait griffonné.

Elle en fit une boulette qu'elle jeta au loin. Les excuses ne ramenaient pas les morts. Elles ne réparaient rien.

Toujours accroupie, Hayalee referma les bras autour de ses jambes. Qu'aurait dit sa mère, si elle avait vécu pour voir l'armée chercher sa cadette ? Qu'aurait dit son père ? Hayalee glissant une main sous sa tunique et frotta la peau en bas de son dos, excédée par ses propres pensées. Son père pouvait bien aller au diable. Le soleil avait disparu derrière la falaise, à l'ouest, laissant dans le ciel un bleu plus pâle qu'en milieu de journée. Mieux valait ne pas rester dehors, elle était trop exposée, ici. Elle se dressa sur ses jambes ankylosées et avança vers l'église. Doucement, elle poussa la porte en bois et passa la tête par l'entrebâillement. Personne.

Derrière les Portes ~ I. Le Feu et l'ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant