Chapitre 8.1 : Le Feu

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Hayalee avait redouté de devoir courir après Iltaïr pour qu'il l'aide à maîtriser son don ; elle s'était imaginée laissée de côté, dans un petit coin où on ne viendrait plus la bousculer. Elle finirait par s'accoutumer à la vie sur l'île et, confortablement installée, elle céderait à la facilité et renoncerait à rentrer chez elle. Mais Iltaïr tint promesse et mit Hayalee face à la réalité dès le lendemain.

Le sommeil l'ayant fuie une bonne partie de la nuit, elle n'émergea qu'en fin de matinée, lorsque Saru vint frapper à sa porte. Il lui fallut quelques secondes pour se souvenir où elle se trouvait et comment elle était arrivée là. Quelques secondes aussi pour chasser de son esprit les images d'anges, de démons, de symboles et de soldats qui l'avaient assaillie toute la nuit.

Le garçon lui annonça que si elle se sentait d'attaque, Iltaïr était disposé à lui consacrer du temps l'après-midi même. Hayalee ne se fit pas prier. Saru l'emmena manger un morceau puis, le moment venu, la conduisit jusqu'au lieu de rendez-vous.

Il la guida aux confins de l'aile sud des souterrains, dans un hall où se présentaient trois portes. Chacune d'elle était accompagnée d'une peinture différente : une chaîne de montagnes bordant un désert de sable, un océan déchaîné sous une pluie battante et un brasier.

— C'est les salles d'entraînement dédiées aux éléments, expliqua Saru. Celles-là, il n'y a que des Descendants qui les utilisent, mais on a aussi des salles pour s'entraîner au maniement des armes et au combat. Je te montrerai si tu veux.

— Il manque le vent et la foudre, non ? souleva Hayalee en détaillant les tableaux.

Saru haussa un sourcil sarcastique :

— Oui... pour ça, je crois que c'est mieux d'être en extérieur.

Elle rougit, un peu honteuse et un peu vexée, aussi. Ça coulait peut-être de source pour lui, mais pour Hayalee, rien n'était évident ici.

— J'imagine que pour toi, ça se passe là, dit-il en approchant de la porte surmontée par les tourbillons de flammes.

Ils échangèrent un regard incertain puis, décidant de ne pas attendre Iltaïr, Saru abaissa la poignée. Il repoussa le battant, dévoilant une salle plongée dans la pénombre. Ils firent quelques pas à l'intérieur. La pièce avait l'air vaste, et vide, à en juger par l'écho qu'elle leur renvoyait. Un bruit incongru résonnait dans l'obscurité ; on aurait dit de l'eau qui clapotait.

— Attends, devrait y avoir de quoi allumer par là, dit Saru en se tournant vers le bahut près de la porte.

Il fouilla les tiroirs et finit par en tirer un briquet à amadou. Il alluma une première bougie qui traînait sur le meuble, puis alla d'un bout à l'autre de la pièce pour illuminer plusieurs chandeliers et lampes. Il s'avéra que la salle en était pleine. Il n'y avait que ça à vrai dire : des centaines de bougies, perchées sur des candélabres ou posées à même le sol. Saru n'en avait pas allumé le quart quand il jugea qu'ils y voyaient assez.

Hayalee avança au centre de la salle, dans le seul espace dénué de bougies. Des arches en pierre se croisaient au plafond, deux fois plus haut que dans le reste des souterrains et ponctué de grilles qui devaient masquer des bouches d'aération. Pour un peu, Hayalee se serait crue dans une église. L'endroit dégageait l'atmosphère d'un sanctuaire, en tout cas, et elle ne put s'empêcher d'être impressionnée. Deux grandes cheminées se dressaient à chaque extrémité de la pièce, leur gueule noire n'attendant que le feu pour venir les nourrir. Il n'y avait qu'un détail qui dénotait : une source d'eau, contre le mur du fond. Hayalee s'en approcha.

L'eau s'échappait d'un affleurement de rochers et s'écoulait avec un discret « glouglou » dans un bassin en pierre. Des seaux en bois moisissaient tout près et une légère odeur d'œuf pourri flottait dans l'air.

— C'est pour boire un coup ? plaisanta-t-elle.

— Plutôt pour éteindre le feu, je crois, dit Saru en la rejoignant.

— Ah, oui...

Le bassin et les rochers étaient décorés de petites bougies que leur cire avait collées à la pierre en fondant. Le tableau devait être magique, une fois toutes les bougies allumées.

— Je te conseille vraiment pas de boire ça, en plus, ajouta-t-il.

— Pourquoi ?

Il désigna l'eau du menton et dit :

— Vas-y, trempe ta main.

Hayalee redouta d'être victime d'une mauvaise blague, mais Saru insista et la curiosité l'emporta sur la méfiance. Elle s'agenouilla devant le bassin et trempa le bout de ses doigts dans l'eau. Elle lâcha une exclamation stupéfaite :

— C'est chaud !

Elle ne le remarquait que maintenant, mais un voile de vapeur dansait à la surface de l'eau.

— Eh oui. C'est grâce au volcan – il chauffe l'eau. On a plusieurs sources d'eau naturellement chaudes, sous terre et à la surface aussi. C'est super pratique. On a réussi à canaliser certaines de ces sources et grâce à ça, on a de l'eau chaude à disposition – pas besoin de s'y prendre trois heures à l'avance pour se faire couler un bain !

— Alors le bain que j'ai pris hier... commença Hayalee.

— Eau volcanique, fraîchement chauffée par la montagne.

Maintenant qu'elle y repensait, elle n'avait vu aucun dispositif pour chauffer l'eau, détail auquel elle n'avait pas pris garde sur le moment.

— Mais... c'est l'eau qui sent comme ça ? réalisa-t-elle, la main toujours plongée dans le bassin.

— Ouaip. C'est le soufre.

Il pointa du doigt les rochers pour attirer son attention sur le dépôt jaune-orange que l'eau laissait dans son sillage.

— C'est ça qui refoule, dit-il, et ça peut te rendre malade. L'eau qu'on utilise dans les souterrains est coupée avec de l'eau fraîche alors ça va, mais fais attention quand tu te promènes sur l'île. Évite de boire et de te baigner n'importe où. Y a des coins où c'est vraiment dangereux. Pas seulement parce que l'eau est bouillante, mais aussi parce qu'elle peut être très toxique et te ronger la peau.

Hayalee ôta sa main de l'eau. Saru pouffa de rire, visiblement amusé par sa réaction.

— C'est vraiment pas drôle, bougonna-t-elle.

— Un peu quand même, objecta-t-il, un sourire narquois aux lèvres.

Heureusement pour lui, Iltaïr débarqua avant qu'Hayalee ne se soit décidée à lui envoyer une giclée d'eau à la figure.

— Navré pour le retard ! clama celui-ci. C'est dur de faire un pas sur cette île sans être sollicité de tous les côtés.

Hayalee lui trouva l'air un tantinet plus jeune que la veille. Ses cheveux étaient toujours aussi gris, ses joues mal rasées et ses prunelles pleines de gravité, pourtant il lui parut plus fringant que le souvenir qu'elle en avait gardé. Sûrement qu'il était plus reposé.

Il vint faire face aux deux adolescents qu'il salua d'un hochement de tête, puis son regard s'arrêta sur Hayalee. Il prit le temps de la détailler, avant de demander :

— Comment te sens-tu ?

Elle comprit tout de suite qu'il ne faisait pas allusion à sa santé. Elle détourna les yeux et haussa les épaules :

— Ça va.

— Et la jambe ? Ça a l'air d'aller beaucoup mieux.

— Ça va mieux, oui, confirma-t-elle en pliant et dépliant le genou. J'ai encore un peu mal quand je marche, mais c'est supportable.

— Évidemment.

Hayalee ne fut pas sûre de saisir où était l'évidence. Comme si ses mots n'étaient pas assez déroutants, Iltaïr la dévisagea un long moment sans rien dire. Même Saru parut trouver l'échange étrange. Changeant brutalement d'attitude, Iltaïr se fendit d'un sourire et lâcha :

— Prête à apprivoiser tes pouvoirs ?

Hayalee cilla, avant d'opiner du chef.

— Prête, renvoya-t-elle avec plus d'assurance qu'elle n'en éprouvait.

— Alors, viens par ici.

Derrière les Portes ~ I. Le Feu et l'ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant