Chapitre 4.2 : La ligne bleue

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Le garçon releva la tête, se redressa et répondit :

— Non, mais il risque de mettre un moment avant de se réveiller.

Il marqua une pause et essuya le filet de sang qui coulait sur sa gorge. Le racheté l'avait menacé avec une telle insistance que la lame avait entamé sa chair. Hayalee réalisa que les larmes lui étaient montées aux yeux. Il paraissait ébranlé, en fin de compte, ce qui n'avait rien de surprenant.

Elle ne put s'empêcher de continuer à le dévisager, partagée entre choc et curiosité. Avec ses joues rondes, ses taches de rousseur qui couraient sur son petit nez en trompette et ses prunelles claires, il ressemblait à un angelot. Mais un angelot à la mine revêche, à demi dissimulée sous ses cheveux en pagaille.

— On ferait mieux de pas traîner, dit-il. Avec tout ce boucan, les soldats vont pas tarder à rappliquer.

Il passa une main sur sa tête, y décrocha une feuille morte sans prendre la peine de repousser les cheveux qui lui tombaient devant la figure et scruta la pente qu'ils avaient dégringolée.

— Ce serait beaucoup trop dangereux de retourner en ville, marmonna-t-il, pensif. Le mieux c'est de foutre directement le camp...

Il grimaça :

— Iltaïr va pas aimer.

Toujours absorbé par ses réflexions, il tourna sur lui-même comme s'il cherchait à se repérer. Une magnifique plume blanche aux reflets irisés virevoltait contre sa hanche, accrochée à sa ceinture, près d'un petit étui à couteau.

— D'accord... souffla-t-il. L'est est par là, et on est au sud de la ville... donc si on avance dans cette direction on devrait tomber sur le fleuve.

Il mit aussitôt cap vers le fleuve, mais Hayalee ne bougea pas d'un pouce. S'apercevant qu'elle ne le suivait pas, il se retourna.

— T'attends quoi ? La tombée de la nuit ?

Hayalee ne rétorqua pas. Elle ne comprenait plus rien à ce qui se passait. D'abord ce racheté qui tentait de l'assassiner – ou de l'enlever ? – pour d'obscures raisons avant d'être terrassé par une inexplicable crise de démence, et maintenant ce garçon sorti de nulle part qui s'attendait à ce qu'elle le suive comme si de rien était.

— T'es qui au juste ? lâcha-t-elle, avec plus de stupeur que d'agressivité.

Il se balança d'un pied sur l'autre en jetant des coups d'œil répétés aux alentours, partagé entre nervosité et agacement.

— Je m'appelle Saru.

— Ça m'avance pas vraiment.

Il soupira.

— Super. Écoute, euh... ?

— Hayalee.

— Hayalee, répéta-t-il en la regarda droit dans les yeux, on a pas le temps de discuter là. Vraiment pas.

— Mais faut que je te suive ?

Il y eut un instant de silence.

— D'accord, dit-il, t'as qu'à me suivre en discutant, ça te va ? On parle autant que tu veux, mais faut absolument qu'on bouge.

Hayalee se mordilla la lèvre. Ludwig lui avait dit de ne pas bouger de l'église. Des craquements et des éclats de voix leur parvinrent alors, par-delà la pente qu'ils avaient dévalée. Sûrement les soldats. Hayalee cessa de tergiverser. Elle rejoignit le garçon en trois enjambées et ils s'empressèrent de filer.

Suivant les sentiers tracés par les animaux, ils avalèrent la distance sans cesser de surveiller leurs arrières.

— Tu crois qu'ils nous suivent ? osa Hayalee lorsqu'elle jugea qu'ils s'étaient suffisamment éloignés pour parler.

Derrière les Portes ~ I. Le Feu et l'ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant