⤖ 2. Rien qu'un peu de nourriture

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— On... On n'a pas très bien commencé, toi et moi..., commence James d'une voix atone.

Mike le fusille du regard. Il a passé la dernière demi-heure à laver son visage à l'eau froide pour décongestionner ses yeux et les dégonfler, à cause de la soirée qu'il a écoulée en pleurant. Son estomac est encore vide, et James ne sait visiblement pas qu'il ne faut jamais, jamais, lui dire quoi que ce soit quand il n'a pas mangé.

— Non, tu crois ? ironise Mike en levant les yeux au ciel.

Il se lève de la table de la cuisine et jette un regard à son coloc, qui les cheveux dans les yeux, fixe sa tasse de café aussi noir que ses cheveux d'un air morne. James Von Neumann a les yeux injectés de sang : lui non plus n'a pas bien dormi, et Mike ressent presque une pointe de culpabilité. Presque.

Il ouvre les placards de la cuisine, et est stupéfait de les trouver vides. Catastrophe !

— Il n'y a rien à manger ? s'étonne Mike.

— Eh dis donc, on est deux ici. Tu ne croyais tout de même pas que j'allais m'occuper de tout ?

Se sentant sur le point de faire manger à James son acte de naissance, Mike ferme les paupières et compte mentalement jusqu'à trois. Quand il les rouvre, James se mord la lèvre, comme s'il regrettait ses mots. « Très bien » songe Mike.

— Écoute, Michael, si je n'ai rien acheté c'est tout simplement parce que je me suis dit qu'on pourrait faire les courses ensemble. Apprendre à se connaître ! Et il n'y a rien de tel que la nourriture pour ça.

Mike est obligé de lui accorder ce point. La nourriture est un excellent moyen d'apprendre à connaître quelqu'un. Par exemple, ceux qui boivent leur café noir sans sucre et sans une tonne de crème chantilly et de sirop sont antipathiques au possible. Il n'y a qu'à voir Emmy et Luke pour confirmer cette théorie !

Mais il ne peut empêcher les mots venimeux de sortir de sa bouche :

— C'est la première partie de ton génialissime plan dont tu m'as parlé hier quand j'ai passé le pas de la porte ?

Un instant, un éclat de chagrin transperce les yeux sombres et sans âme de James. L'instant est si bref que le jeune homme pense l'avoir imaginé.

— Non, Mike. Je pensais sincèrement qu'on pourrait faire ça en tant que colocs. Faire un truc différent car-...

Un rire sarcastique franchit les lèvres de Mike.

— Un truc différent ? J'ai cru comprendre !

Un air blessé apparaît sur le visage de James.

— Non, pas cette fois. La plupart des colocations fonctionne de la façon suivante : chacun achète sa nourriture et cuisine et mange sa tambouille dans son coin. Ce n'est pas ce que je veux. Nous devrions partager quelques moments ensemble durant les repas, expliqua-t-il avec douceur.

— Mhm, commente Mike, radouci. Je vois. Ça, je suis d'accord. Le reste, par contre, ce que tu m'as demandé hier, c'est un non catégorique et définitif.

Un sourire ravi éclaire le visage de James, et Mike remarque alors que des fossettes creusent ses joues.

— Trop bien ! Alors on y va ! Et on prendra un petit-déjeuner en cours de route, car je meurs de faim !

— C'est une bonne idée, approuve Mike, en se dirigeant vers la porte d'entrée.

Une fois à l'extérieur, la température matinale (douce et fraîche en ce début de septembre) n'est pas un grand choc pour Mike. Parviendra-t-il à s'acclimater ? Rien n'est moins sûr. Voir le Golden Gate hier soir l'avait perturbé : il ne devrait pas être ici. Sa place était avec Sad Joy. Peu importe la ville où il se trouvait, du moment que Mike était avec ses amis, il se sentait à la maison. Mais ici il n'y a personne. Personne qui le connaissait depuis l'enfance. Personne qui ne connaissait ses rêves et ressentait les mêmes avec une intensité incroyable. Personne qui ne le comprenait.

Avec enthousiasme, James lui montre quelques bâtiments du campus, par lequel ils ont fait un détour. Mike écoute poliment et plaque un sourire sur son visage, même s'il ne ressent aucune joie. Plus rien n'a de couleurs de toute façon.

Lorsque l'enseigne du Starbucks apparaît, James entreprend d'y entrer et Mike songe alors ce qui est arrivé à Emmy la dernière fois qu'elle avait mis les pieds dans une enseigne du même nom, et de ce qui avait failli arriver si Luke n'était pas arrivé à temps. Luke... Son cœur se serre quand il pense à eux deux. Qu'allait-il se passer ? Lui et Emmy s'aimaient-ils assez pour avancer ensemble ? Ou alors ne s'étaient-ils qu'accroché à l'ombre de ce qui aurait pu être ? Mike n'avait pas la réponse. Et ni lui ni Caitlin ne pouvait les aider. Et la pauvre Alice était en première ligne... Mike se promet de faire de son mieux pour la soutenir : elle est dans le même cas que lui.

Bref, pour se réconforter, Mike commande un gigantesque café au sirop de caramel beurre salé et recouvert d'une quantité impressionnante de crème chantilly, ainsi que des pancakes, des roulés à la cannelle et des cookies. Il est étonné de voir James demander un café sauce cookie avec de la crème fouettée, des brownies, du cake au citron et des brioches nappées de chocolat et de noisette. Son adversaire était digne de ce nom !

— Je sais que ça n'a pas très bien commencé, hier soir, débute James alors qu'ils viennent tout juste de s'installer. Je suis vraiment désolé. J'étais désespéré, déboussolé et je ne savais pas quoi faire. Je n'ai pas réfléchi.

« Ça, j'ai remarqué » pense Mike en engouffrant la moitié de son roulé à la cannelle. Ah, que manger lui procurait de la satisfaction !

— C'était la demande la plus déraisonnable que j'ai entendue de ma vie, répond Mike. Et pourtant, mon meilleur ami est un champion dans le domaine !

En face de lui, James se tord les mains d'un air gêné.

— Oublions ça, tu veux ?

— D'accord, accepte Mike. Mais uniquement si tu m'offres un morceau de cette brioche nappée de chocolat et saupoudrée de noisette.

— Hors de question ! se récrie-t-il.

— Je ne plierai pas, prévient Mike, un air faussement sévère sur le visage.

— La moitié ?

— Tenu.

Et Mike et James se réconcilient comme ça, autour de la nourriture. Mike n'était cependant pas sûr qu'on pouvait parler de réconciliation : ils ne se connaissaient pas et c'est seulement avec cette discussion qu'il peut connaître un peu mieux celui qui allait partager son appartement toute l'année. Celui qui allait le voir. Celui qui allait le faire tomber de haut, de très, très haut, si haut que lorsque Mike s'écrasera au sol, quelques mois plus tard, il ne pourra qu'écrire une triste chanson à ce sujet.

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Bonsoir ! Comment allez-vous ?

Merci d'avoir lu ce chapitre !
Visiblement, Mike et son coloc' ont une passion commune pour la nourriture... À votre avis, comment tout ça va évoluer ?

Et vous, pensez-vous aussi que la nourriture peut régler les conflits ?

🍪🧇🥞

On se retrouve la semaine prochaine pour le chapitre 3, intitulé « Deuxième chance » !

Prenez soin de vous 🧡

Un automne pour tout écrire (3.5)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant