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Quand je me réveille ce dimanche matin, le soleil est déjà levé. Je le discerne au travers de mes paupières closes. Une lueur rosée me caresse le visage. Avant d’ouvrir les yeux, j’écoute. C’est quelque chose que j’ai appris à faire en
vieillissant : utiliser tous mes sens, pas seulement la vue. Aller à la rencontre du monde de toutes les manières possibles. En se focalisant sur l’un ou sur l’autre. En l’occurrence, pour l’instant, l’ouïe. Déjà une semaine que je suis au pré de la ravissante Eden. Exit la douceur d’un réveil insouciant. Le compte à rebours m’explose à nouveau dans la poitrine. Une semaine de passer. Je me sens
couler à nouveau. L’impression de peser une tonne, de m’enfoncer dans des sables mouvants, lentement mais sûrement. Respire, Clark, respire ! Accroche- toi ! Tu es plus fort que ça. Tu DOIS être plus fort que ça. Encore une fois, c’est la voix de Eden qui me rattrape au bord du gouffre. « Comment tu te sens ? »
Dit elle en entrant sans frapper. J’apprécie qu’elle n’ait pas lancé
l’incontournable « ça va ? » auquel j’aurais eu le plus grand mal à répondre. Alors j’essaie de réfléchir froidement. Comment est-ce que je me sens ?
« Ça allait. Jusqu’à ce que je me rappelle.
— Je comprends. » Dit-elle.
Et je sais que c’est vrai. Hier soir, elle c’est confié sur sa vie, après la perte de Sarah et Henry. De sa culpabilité, du long chemin du deuil. De ces jours où elle se réveillait en ayant oublié ce qui s’était passé. Quand le souvenir revenait la frapper de toute sa force, la douleur n’en était que plus violente. C’est
exactement ce que je viens de ressentir. Elle avait fini à Arcachon. Une ville qu’elle ne connaissait pas le moins du monde. L’endroit idéal pour prendre un nouveau départ.
Tu vas pouvoir rentrer chez toi. » Ce n’est pas une question. Elle le dit sur le ton de l’évidence. Alors, je le prends comme tel. Il faut que je rentre à Terrasson.

Mais en attendant, je ne bouge pas d’un poil. De toute façon, Je n’ai pas besoin de partir tout de suite. À quoi ça me servirait de tourner en rond dans mon appartement à me poser des questions auxquelles je ne pourrai certainement pas trouver de réponse ? Autant rester ici encore un peu. Au moins, je ne suis pas seul. Et puis... Et puis, merde, autant profiter de la vie qui me reste ! Une
énergie nouvelle me transperce et m’envahit. Cette journée de dimanche est
l’une de mes toutes dernières. Et si j’en profitais pour faire exactement ce dont j’ai envie ? Si je la considérais comme un cadeau, plutôt que comme une torture
? Le regard que l’on porte sur les choses peut tout changer, la physique quantique l’a bien mis en
Evidence. Et puis je sais bien que le bonheur est avant tout un état d’esprit. Je suis heureux si je décide de l’être. Maintenant. Tout à coup, je me sens
incroyablement vivant. Une journée entière se profile devant moi. Une journée tout entière à remplir de ce qui me fait vibrer, moi. Moi et moi seul, même si j’espère la partager avec Eden. J’ai envie qu’elle soit là pour me voir heureux, aussi. Parce qu’elle a su faire face à mon effondrement, je voudrais qu’elle profite de mon renouveau. Tant pis si ce n’est que la dernière flamme de la bougie, celle qui se déploie, radieuse, juste avant que la mèche se consume. Ce n’est pas parce qu’elle s’éteint juste après qu’elle en est moins belle. Je me lève et la prend dans mes bras, elle n’y oppose aucune résistance.
« J’ai envie de profiter de cette journée. D’en profiter vraiment. À fond. Tu veux bien la vivre avec moi ? Il suffit que je parte en milieu d’après-midi
Eden referme ses bras autour de ma taille. Elle me serre contre elle. Fort. Il me semble que sa voix tremble un peu quand elle me répond. « Je serai honoré de t’accompagner encore un peu.
— Merci. » Pendant quelques instants, nous restons ainsi, serre l’un contre l’autre, respiration lente et douce. En harmonie.
Dehors, l’oiseau s’est remis à chanter. Ses notes sont d’une clarté qui m’émeut et me transperce. Mon Dieu, la beauté de ce monde... Dieu. Tiens, je n’ai pas pensé à lui jusqu’à maintenant. Pourtant, j’aurais deux mots à lui dire.
Remarque, bientôt, je pourrai les lui dire en face... Si je pars du principe qu’il existe et qu’il va, comme on a l’habitude de dire, me « rappeler à lui »
Comment a-t-il pu laisser faire cela ? me retirer les gens que j’aime ? me faire passer pour un méchant ? alors que je le jure face a lui , et ce qui sera bientôt le cas, que tout était manipulation et… Ha peut importe... Eden me tire de ces

considérations, qui, mine de rien, commençaient déjà à saper ma toute nouvelle énergie. « Qu’est-ce que tu as envie de faire ? » Bonne question. Profiter de cette journée. Je l’ai dit. Profiter de la vie, de façon plus globale.
Mais qu’est-ce que ça veut dire, finalement ? Est-ce que ça signifie faire des trucs extraordinaires, genre partir au bout du monde ou me prélasser dans un palace ? Non, sûrement pas. Bon, déjà, partir au bout du monde, en une
journée, ça ne va pas être facile. Et puis, ce n’est pas de partir qu’il est question, mais plutôt de rester. Rester vivant. Rester capable de ressentir et de
s’émouvoir. Être présent. Aux autres, mais surtout à moi-même. Et me prélasser dans un palace, ce n’est clairement pas le truc qui me fait rêver. Cette attraction pour le luxe, les yeux qui brillent devant des vêtements ou des voitures de grande marque, c’est quelque chose que je n’ai jamais compris. Le coup du « si on n’a pas une Rolex à cinquante ans, on a raté sa vie » hein qui ce rappelle de cette remarque très inspiré ? Ça m’a toujours fait doucement rigoler. Qu’est-ce qu’il faut être déconnecté de soi-même pour s’imaginer que réussir sa vie ou ne pas la réussir tient à la possession d’une montre… « Alors ? me relance Eden.
Des idées ? »

Et à la fin?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant