4

32 23 0
                                    

C’est la fraîcheur de l’aube qui me réveille. Engourdie et courbaturé, j’ouvre des yeux un peu perdus sur ce qui m’entoure. Il me faut quelques minutes pour
repasser à l’envers le film des événements de ces derniers jours. Vendredi mon docteur m’appel et m’annonce que je vais mourir. Là nuit je rode comme un zombie à la walking dead. Je me décide de partir pour Arcachon. J’y arrive le dimanche après midi. Prend un hôtel Le même qu’on avait pris avec Lise. Je voulais celui-là et aucun autre. Pour finalement dormir au pied de la dune. Le film passe vite. Quelques trop courtes minutes pendant lesquelles je ne sais
plus où je suis et pourquoi je suis là. Quand la mémoire me revient, j’ai
l’impression de prendre un coup de pied dans l’estomac. Déjà perdu trois jours sur le sablier. La colère, en moi, se réveille. Je la sens flamber. Mais
contrairement à la veille, elle ne s’épanouit pas en un brasier incontrôlable. Elle ne produit plus que de petites flammèches qui me donnent l’illusion de ne pas accepter ce qui m’arrive. Je ne veux pas l’accepter j’ai si peur. J’ai l’impression

d’être un enfant qui a besoin de se réfugier dans les bras de sa maman.
Lentement, je m’assieds. Je regarde autour de moi. Il n’y a que des arbres et du sable. Et la route qui passe derrière. Le silence est total. Sans trop savoir ce que je vais faire maintenant. Le froid me saisit. Au moins, c’est la preuve que je suis toujours bien vivant. Je m’étire, me relève, fais quelques pas pour me
réchauffer, puis, presque sans y penser, j’entreprends l’ascension de la dune.
Grimper dans le sable, c’est l’archétype de l’effort inutile : on redescend aussitôt de moitié. L’avantage, c’est que ça réchauffe. Et que la répétition des gestes, qui me met en mode automatique, m’évite de gamberger. Une seule pensée occupe mon esprit : mettre un pied devant l’autre. M’élever. Au sens propre.
Rejoindre l’horizon. Le souffle court, les mollets raidis par l’effort, je m’obstine. Ce n’est pas une malheureuse petite nuit trop courte qui va m’empêcher d’avancer. Ni la nouvelle de ma mort programmée. Ni la fatigue que je traîne sur mon dos depuis des mois. Inlassablement, les dents serrées, les poumons en feu, je gravis la pente. Une phrase tourne en boucle dans ma tête : « Quand tu penses que tu ne peux plus avancer, arrête de penser ». Elle m’a servi plus d’une fois quand je jouer au Basket à haut niveau. Notamment pendant une demi-finale qui restera graver dans ma mémoire. J’ai terminer le match avec
une entorse. Mais on gagne ce foutu match on gagne la finale. Et moi capitaine de l’équipe championne de France. J’ai eu une belle vie. A trois détails près.
Pardon quatre détails près maintenant.
Mon enfance a la campagne, les émissions radios, mes amis . Évidemment j’ai eu des haut et des bas . Mais 2023 viens d’explorer la barre des records. Éviter de penser. La voilà, la putain de bonne idée qui peut m’aider à survivre à ce mois qui est destiné a etre le dernier. Et si je le finissais en beauté. ? Enfin, survivre, façon de parler, puisqu’en l’occurrence, la certitude, c’est justement que je n’y survivrai pas. Disons, faire avec. Arriver au bout sans avoir perdu la raison. Plus j’avance, plus je monte et plus j’ai froid. Quand j’atteins le sommet
de la dune, c’est un vent glacial, iodé, qui me fige sur place. Je ferme les yeux et me laisse aller… J’ai toujours aimé cette sensation du vent, qui me frappe et me contourne en même temps. Volontairement, je mets de côté les sensations de froid. Je fais appel à mes ressources intérieures, je mobilise mes énergies.
J’accueille la violence des éléments avec bonheur et gratitude. Tant que je peux avoir froid, tant que je peux lutter contre le vent pour ne pas tomber, je suis
vivant. Lentement, je relève le menton et gonfle mes poumons. Comme pour m’imprégner de l’odeur du large. Mais au lieu d’expirer tranquillement, j’éructe ma colère à la face du monde. Le hurlement qui s’échappe de moi me donne la

chair de poule et me laisse à genoux, complètement ratatinée, hoquetant.
Pendant de longues minutes, je suis secouée par les répliques de ce
tremblement de terre intérieur. Je suis KO a genoux a l’endroits même je me rend compte ou deux ans plus tôt je faisait une photo avec l’amour de ma vie. C’est à peine si je me rends compte que des larmes coulent sur mon visage : le vent les assèche dès qu’elles apparaissent. C’est la brûlure de mes yeux,
agressés par le sel (celui de mes larmes comme celui des embruns qui arrivent par intermittence jusque-là) qui me fait prendre conscience de ce qui se passe. Jusqu’à présent, je n’avais pas pleuré. Il a fallu que j’épuise mon stock de colère pour pouvoir y arriver. Épuisé, groggy, défait, j’entame la redescente, sans
prêter la moindre attention au soleil qui se lève sur la forêt. Ma gorge me fait mal, mes dents claquent et mon estomac me donne l’impression de vouloir se refermer à tout jamais. Comme un automate, je laisse le sable m’engloutir à chaque pas. Éviter de penser. Encore. En bien moins de temps que je n’en ai mis pour monter, je me retrouve au pied de ma dune. Sonné. Tremblant. Et
maintenant ? Qu’est-ce que je fais ? En farfouillant dans mon sac en bandoulière . Un sac noir a l’effigie de batman. Sa valeur financière ? il en a
aucune il a coûter quinze balles. En valeur sentimentale il n’as pas de prix. Car c’est un cadeau de ma femme. De temps en temps ils nous arrivaient de monter a Brive faire les boutiques pour geek et de se gâter mutuellement. je retrouve un paquet de mouchoirs en papier. J’en sors un et me mouche à n’en plus finir. C’est à croire que mon nez ne peut plus s’arrêter de couler. Mes yeux non plus. Les larmes coulent doucement, silencieuses sur mes joues, je les sent se faufiler le long de mon cou, se perdre sur mon torse. Bientôt, le mouchoir n’est plus qu’une boule de pâte à papier collante et gluante, que je jette dans une
poubelle. Et mes larmes coulent toujours. Sans plus y prêter attention je marche, cela me rappelle janvier, je pleurer comme cela, mais pas pour le
même motif, mais avec étrangement la même souffrance. Le cœur humain est étrange. Je fais demi-tour et je reprends la route par laquelle je suis arrivée.
Direction Arcachon. C’est bien, Arcachon. Ça fleure bon les huîtres même si j’aime pas ça, pourtant ce n'est pas faute d’avoir essayer, et les vacances. Les moules ça j’aime bien, j’en avais mangé de délicieuses le jour de notre arrivée curry et chorizo. Nos voyages défilent à toute vitesse dans ma tête, le futuroscope avec les enfants pour mon anniversaire, Cholet, le puy du fou, le château de Losse… Nos moments, nos nouvel ans , Saint Valentin, restaurant, cinéma, je ressent la sensation de ses lèvres sur les miennes … Quel fin
pitoyable.

Enfin, c’est comme ça .
Donc, Arcachon. En quelques minutes, je traverse la ville, à peine éveillée en ce mardi matin. Je n’ai envie de rien. Surtout pas de voir des gens. L’idée
d’adresser la parole à un être humain (vivant, par définition, le veinard) me donne la nausée. Autant dire que je n’ai aucune envie de m’arrêter. Un panneau attire mon attention : Pointe de l’Aiguillon. Va pour la pointe : il ne devrait pas y avoir foule. Va pour l’aiguillon : je le sens bien, qui s’amuse à me transpercer le cœur. Bon sang, Clark, jusqu’où tu vas. Tu refais ce parcours pourquoi. Tu te fais du mal. Comme si tu avais besoin de ça.
Va te faire foutre, petite voix intérieure ! La mer est là, devant moi, surplombée d’un ciel dont la clarté à elle seule pourrait me démolir le moral s’il m’en restait encore une miette debout. La colère revient. Elle enfle. Me comprime les poumons. Une jetée s’avance dans la mer. Je l’arpente d’un pas vif, saccadé. Le pas d’un homme qui sait où il va et qui n’a pas l’intention de s’arrêter avant d’avoir atteint son but. Stop, lutter sert à rien je vais stop ! Mais un cri m’arrête net. « Hé ! » Une voix de femme. Pourtant, je suis seul sur cette jetée.
Interloqué, je fais un tour sur moi-même. Quelques bateaux sont à l’ancre et se balancent au gré du vent, mais je ne vois personne. Entendre des voix, ça faisait partie du programme ? Le Dr Boduin aurait pu me prévenir. Il ne manquait plus que ça. Déjà que je ne sais plus bien qui je suis et où j’habite, voilà que nous sommes plusieurs dans ma tête. Hé oui… J’en suis là, à ne plus trop savoir si je dois avancer jusqu’au bout de la jetée, faire demi-tour ou me laisser bêtement tomber sur place quand un mouvement sur ma gauche attire mon regard. Une annexe émerge de derrière l’un des voiliers ancrés là et s’approche. Une femme manie les rames. Figée, je la regarde approcher de la jetée. Attacher l’annexe à un poteau et se hisser sur les planches à quelques mètres de moi. Comme elle s’approche, je l’interroge.
« C’est vous qui venez de crier ?
— Oui. Dit elle avec un ravissant sourire.
— Pourquoi ? »

La jeune femme hésite une demi-seconde.
« Vous aviez l’air d’être partie pour faire une connerie, lâche-t-elle finalement.
— Une connerie. C’est-à-dire ?

— Un truc comme sauter à l’eau et vous laisser couler. »finalement sa voix est douce et chantante, mais s’est presque éteinte sur le dernier mot et je me retrouve à fixer mes chaussures. Comment est-ce qu’elle a pu deviner ce dont je n’avais même pas conscience moi-même ? Parce qu’en l’entendant, je sais. Je sais qu’elle a raison. Que si son cri ne m’avait pas arrêtée, je me serais laissée couler. Vraiment. Les mains au fond des poches, je reste muet. Paumé. Alors, quand la demoiselle prend mon bras et m’entraîne vers le parking, je me laisse faire sans rien dire.
Soulagée. Enfin. Enfin, quelqu’un
Prend les choses en main. Quelqu’un se charge de moi. Je ne suis plus tout seul avec mon sablier qui s’écoule. Tout en marchant, je sens ma respiration s’alléger. Mes poumons se gorger d’air. Comme si la colère avait disparu. « Je m’appelle Eden. Et vous ?
— Clark. »
Elle ne me pose pas de questions. Quand nous nous retrouvons à marcher sur un trottoir en direction de la ville, c’est moi, encore, qui l’interroge. « Où est-ce qu’on va ?
— Je vous amène chez moi. Je suis sûr qu’une bonne boisson chaude vous fera du bien.
— Merci. » Je sais on pourrait dire que ce n’est pas une réponse. Mais rien d’autre ne sort.
Pour toute réponse, elle sourit. Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde que de ramasser un inconnu à moitié cinglé au milieu de nulle part et de lui offrir l’hospitalité. Cette femme, Eden comme le légendaire jardin, est un mystère pour moi. Ou alors je suis déjà mort et c’est un ange.
A la regarder elle pourrait être un ange. Ses cheveux son d’un blond naturel magnifique, son visage jeune est radieux, et ses yeux bleu
évoquent l’océan. Oui elle pourrait en  être un.

Et à la fin?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant