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Une nouvelle journée commence, et je la débute avec une musique en tête.

Encore un jour se lève sur la planète France et je sors Doucement de mes rêves
Je rentre dans la danse comme toujours

Mais comme dit cette même chanson :
« Mais j’ai depuis longtemps perdu mes rêves Je connais trop la danse comme toujours »
Oui ou son donc mes rêves d’enfants. Ou même d’il y a un an ?

Je me ressaisie. Les pensées noire seront pour un autre jour. Aujourd’hui,
Carine arrive à Terrasson. Laetitia et Jennifer ont décidée d’aller la chercher
ensemble à la gare. J’ai essayé de les en dissuader, mais rien n’y a fait. Elles ont usé de tous les arguments, des plus rationnels aux plus basiques. Je vois d’ici la tête de ma sœur en les découvrant l’une à côté de l’autre… Leurs sempiternels désaccords sont de notoriété publique parmi les gens qui les connaissent toutes les deux. Alors, le simple fait qu’elles se rendent ensemble quelque part ne
peut qu’alerter Carine. Et il ne lui faudra pas plus de quelques secondes pour comprendre que la seule chose qui peut les amener à faire front commun, c’est  un problème grave. Et surtout lié à moi.
Les mains autour de mon mug de thé fumant, je ne peux pas m’empêcher de soupirer. J’aurais préféré laisser quelques instants de légèreté supplémentaires  
à ma sœur. Mais il faut que je m’habitue à ne plus maîtriser grand-chose… «papa ? » Louis vient se planter devant moi. « Comment tu te sens aujourd’hui ? »

Je le regarde, indécis. En voilà une question… Une question que je ne me pose même plus. Quel sens est-ce que cela pourrait avoir, de toute façon ? Je hausse les épaules. « J’en sais rien. J’ai l’air de quoi ? » À quelques pas de là, Neji s’active sur son ordinateur. La diode rouge de la caméra clignote. Je la fixe, tout    
en soufflant sur mon thé. « Si j’en crois le Dr Boduin, nous en sommes à la
dernière semaine. J’ai toujours du mal à croire à ce qui m’arrive. Est-ce que je vais mourir demain ? Aujourd’hui ? Je me sens… J’ai l’impression d’être
quelqu’un d’autre, en fait. Comme si le Clark de l’année dernière, de toute façon, était déjà mort. » Pendant quelques secondes, je reste comme cela, le regard rivé sur le trou noir de l’objectif. Image parfaite de ce qui m’attend. « Je    crois que j’ai accepté ce qui se passe. Le choc, la douleur, la colère… Tout ça, c’est derrière moi. De toute façon, je n’ai même plus vraiment la force de
m’indigner de quoi que ce soit.
— Mais physiquement, tu te sens comment ? insiste Louis.
— Fatiguée. Très fatiguée.
— C’est tout ?
— C’est déjà pas mal. Non ? Tu trouves que ce n’est pas assez ?
— Si ! C’est juste que… Je sais pas… Tu as l’air tellement…
— Normale ?
— Non, tranquille. Zen. » Tout en sirotant mon thé, je l’observe. Il a les traits tirés, l’air tendu. Une espèce de tic fait tressauter l’une de ses paupières. Il n’a pas l’air zen du tout. Quand à moi ? Il ne voit que la parti visible de l’iceberg. Au fond de moi c’est la tempête d’émotion.
« Et toi, Louis, tu te sens comment ?
— Mais on s’en fout, de moi ! s’énerve-t-il en écartant les bras. — Non, on ne s’en fout pas. En tout cas, moi, je ne m’en fous pas. »
D’une main, je l’invite à venir s’asseoir à côté de moi. Ce qu’il fait presque à contrecœur, l’air boudeur, les fesses au bord du canapé. Ayant posé mon thé sur la table basse, je pose mes mains sur ses trapèzes. Je ne les ai jamais sentis aussi tendus. « Détends-toi, mon grand. Tu es
Raide comme un piquet. — Comment veux-tu que je me détende ?
grince-t-il. Mon père va mourir et je ne peux rien y faire. Et je ne veux pas. Hier je repenser à quand on t’appeler dieu papa. Tu t en rappelle ?
Pourquoi bordel ? Pourquoi je peu rien faire ?

— C’est un peu le principe de la mort, tu sais : elle est plus forte que tout. Que tout le monde. Tu n’as pas à t’en vouloir. »
Mon fils pousse un long soupir, puis se laisse aller en arrière contre moi, jusqu’à poser sa tête au creux de mon épaule. Aussitôt, mes larmes
affluent. Zen, tu parles… À ramasser à la petite cuiller, oui ! Sauf que je ne veux pas leur donner mon désespoir à voir. Ils ont déjà bien assez à faire avec le leur. Tandis que je bats frénétiquement des paupières pour tenter d’enrayer le flux qui menace de déborder, je perçois un mouvement sur mon côté gauche. Neji s’est levé et vient s’asseoir avec nous, dans la
même pose que son jeune frère . Mes deux enfants sont serrés contre moi. J’ai un bras autour de chacun d’eux, leurs cheveux à portée de mon nez, et je me gorge de leur odeur. Leurs bras à eux m’enserrent aussi. Quand je
ferme les yeux, j’ai l’impression que nous sommes devenus un seul et unique organisme vivant, doté de trois cœurs qui battent à l’unisson. La perspective de les abandonner et de faire voler en éclats cet organisme me fait me rétrécir de l’intérieur. Je serre les dents pour ne pas crier, adresse par-dessus leurs têtes une grimace muette au plafond : je ne veux pas leur imposer le spectacle de ma douleur. Mais quand j’arrive à me reprendre, je me rends compte avec horreur que la caméra a tout
enregistré. Je l’avais oubliée, celle-là…
Tout à coup, le bruit de la porte d’entrée qui s’ouvre à la volée nous fait sursauter tous les trois. Et nous n’avons pas le temps de faire le moindre geste qu’un corps se laisse tomber à genoux devant moi, les mains
posées sur mes cuisses. Carine est arrivée. Ma sœur a toujours été la plus expansive de nous trois. On as toujours trouver qu’elle en fesai trop. À croire que le gène de l’extraversion a pris de plus en plus de place dans
l’ADN de la famille au fil du temps. Jennifer est un bernard-l’hermite recroquevillé dans sa coquille, Carine un vif-argent toujours en contact avec l’extérieur, et moi… Moi, de toute façon, bientôt, je ne serai plus
rien. Le regard acéré (et humide) de Carine est planté dans le mien. On dirait bien que cette fois, quelqu’un d’autre que moi s’est chargé d’annoncer la nouvelle de ma mort imminente.
Dans un même mouvement, Neji et Louis s’écartent. Aussitôt, ma sœur se retrouve dans mes bras, collée à moi. Elle n’a pas proféré un son. Moi non plus. Nous nous agrippons juste l’un à l’autre. Contre mon torse, je sens les battements frénétiques de son cœur. Alors, j’inspire lentement, profondément... J’essaie de lui communiquer un peu de sérénité. De faire passer tout l’amour que je lui porte dans le mouvement lent de ma cage

thoracique. Ses doigts sont crispés sur mon dos ; l’angle de sa mâchoire contractée me rentre dans l’épaule. Je murmure. « Bonjour, Canou... » Je sais pas pourquoi je l’appelle par le surnom qu’elle avait petite Cela doit faire vingt ans que je ne l’ai pas appelée comme ça. Un hoquet s’échappe de sa gorge nouée. « Bonjour, Tintin. »
Je souris. Ce nom-là non plus n’a pas été utilisé depuis longtemps. Mes enfants ne l’ont jamais entendu. Laetitia non plus. Seul Jenny peut se souvenir, et encore pas sûr. D’ailleurs, je vois un sourire enfantin passer
sur son visage de trentenaire. Et je me souviens alors. Notre enfance c’est des souvenirs joyeux mais difficile. En attendant, ma sœur finit par
s’écarter et s’asseoir à côté de moi. Son regard ne me lâche pas. Je lui souris et l’embrasse sur la joue. « Je suis content de te voir. » Elle hoche la tête. Je vois bien que les mots restent coincés quelque part dans sa gorge, emprisonnés sous le poids du chagrin, de la peur et de la colère. Alors, je continue à parler pour deux. Le monde à l’envers, encore une fois. Comme je vous aient dit. Nous ne sommes pas proches tous les
trois. Mais nous somme là les uns pour les autres. Et les liens du sang son souvent les plus fort.

Et à la fin?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant