9 : (not) grown up

53 9 18
                                        

LIVIA

Je ne sais pas pourquoi je suis venue.

Enfin, si, je le sais très bien : pour Anatole. C'est mon frère, il m'a demandé de l'accompagner et comme je suis une sœur acceptable, je suis venue.

Je n'aurais pas dû, me répété-je silencieusement en passant les grilles.

Je n'ai pas foutu les pieds au lycée pendant cinq ans et voilà qu'en l'espace de trois mois je me retrouve à y retourner deux fois ? C'est n'importe quoi. Il a de la chance que je l'aime.

J'ai failli annuler hier, alors que j'étais dans mon lit en train d'essayer de trouver le sommeil. Puis j'ai imaginé son air déçu et surtout, je l'ai vu annoncer à mes parents que je m'étais désistée... Et imaginer l'air confus et inquiet de mon père a suffi à me convaincre. Je n'ai pas pu me résoudre à lui faire ça.

— Livia Le Gall ! s'exclame soudain une voix bien connue. Vous êtes de retour ; bonjour !

C'est Sylvaine Tarres, la proviseure. Elle a ce même air motivé et accueillant qu'au gala.

— Bonjour.

— Oh, qui est-ce que vous accompagnez ? Ce jeune homme ?

Elle pointe mon frère du menton, qui arque un sourcil l'air de dire « pourquoi est-ce qu'elle me parle comme si j'avais cinq ans ? ». Je manque d'éclater de rire.

— Oui, c'est mon petit frère, Anatole.

— Eh bien enchantée, Anatole ! Je suis la proviseure du lycée.

— Euh, je sais. Ça fait deux mois que la rentrée est passée.

Sylvaine rougit légèrement.

— Désolée, je n'avais pas fait attention, je pensais que tu étais au coll... Enfin bref ! Je vous laisse, j'ai d'autres élèves à accueillir.

Sur ce, je lui adresse un signe de tête et entre avec mon frère dans le hall. Aussitôt que nous sommes un peu plus loin, il me glisse discrètement :

— Je rêve ou la vieille a cru que j'étais en troisième ?

J'étouffe un rire.

— Tu y étais encore y a trois mois !

Anatole ouvre grand les yeux en rétorquant :

— Mais j'ai énormément grandi depuis tout ce temps, OK ?

Son faux-air outré me fait éclater de rire, rire qui se tarit lorsque j'embrasse le hall des yeux. Tout est exactement comme au gala, avec les gens bien habillés et la table-bar en moins. À cause de tous les élèves qui grouillent dans l'espace, l'impression d'être redevenue la Livia de quinze ans me heurte de plein fouet et me coupe la respiration.

Pourquoi est-ce que ça fait toujours si mal ?

— Ça va ?

J'acquiesce, me reconnectant à la réalité. Je papillonne des cils pour chasser mes larmes et force un sourire en direction de mon frère, qui me fixe d'un air inquiet.

— Oui, oui, euh, ça va. Allez, on va parler à qui tu veux.

Mon frère décide d'aller du côté scientifique, plus spécifiquement vers les tables dédiées aux écoles d'ingénieur. J'écoute tout d'une oreille et pose des questions de temps à autre, mais je n'arrive pas à me concentrer.

Au moment où nous nous apprêtons à changer de table après une bonne demi-heure de discussion, je glisse à mon frère :

— Je vais passer aux toilettes, tu continues tout seul ?

(Not) Meant to beOù les histoires vivent. Découvrez maintenant