2 : (not) healed

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JADE

— Aïeeeeeeee, quel con !

Je me frotte le crâne à l'endroit où mon crâne a tapé le mur. Parano comme je suis, j'ai directement l'impression de sentir une bosse sous mes doigts.

— Enfoiré de plafond trop bas, marmonné-je entre mes dents. Si je trouve l'architecte qui a conçu cette m...

Je m'interromps en m'apercevant que j'ai recommencé à parler tout seul. Ça m'arrive de plus en plus, maintenant.

J'embrasse le décor qui m'entoure du regard, dépité. L'unique pièce qui me sert de studio fait tellement pitié que si j'étais plus sensible j'en aurais sûrement les larmes aux yeux. Les cartons s'empilent dans littéralement chaque recoin, prenant tout l'espace – et étant donné que mon appartement est déjà ridiculement petit je n'ose même pas vous décrire le carnage. Les seuls éléments qui donnent un peu de vie à la pièce sont mes affaires de cours sorties sur les étagères, mon poster de la toile du Déjeuner des canotiers affiché au-dessus du bureau et de la couette blanche.

Ouais, je sais, j'ai considéré ma couette comme un élément de décoration ; on en est là. Les murs sont d'un bleu-gris si foncé que c'est l'une des seules choses qui semble éclairer l'espace.

Sérieusement, ça fait pitié.

Désabusé, je pousse un profond soupir avant de me pencher sur le carton posé à mes pieds que j'ouvre d'un coup de cutter. Ma frustration monte en flèche en voyant qu'il est rempli de mes affaires de salle de bain... alors qu'il était écrit « CUISINE » dessus. Croyez-moi, c'est la dernière fois de ma vie que je demande à mes potes-les-rois-de-l'humour de m'aider à déménager.

Au moment où je me demande très sérieusement si je pourrais utiliser une serviette de toilette pour mettre fin à mes jours, mon téléphone vibre dans ma poche. Comme chaque fois que ça arrive, je le sors précipitamment et jette un œil avide à l'écran, le cœur battant.

Celui-ci ralentit dès que je comprends que ce n'est pas elle. J'ai seulement reçu un nouveau mail.

Dépité, je sens ma gorge se serrer et décide que n'importe quelle occasion est bonne pour lâcher un peu mes cartons. Aussi, je clique sur la notification qui vient d'apparaître et m'aperçois que l'e-mail m'a été envoyé par... mon ancien lycée ?

Surpris, je parcours les quelques lignes des yeux et comprends alors que j'ai été invité à une sorte de gala d'anciens élèves pour fêter les cinq ans de l'obtention de mon baccalauréat.

— Quelle connerie, marmonné-je. Il faudrait me payer pour... Putain ! m'exclamai-je en réalisant que je me remets à parler tout seul.

Épuisé, je ferme les yeux quelques secondes en réfléchissant à cet e-mail, un drôle de sourire aux lèvres.

J'ai bien aimé le lycée. Ce n'est pas la période où j'ai spécialement été le plus heureux de toute ma vie : j'étais complexé, j'apprenais à me connaître et il y avait les cours, les révisions, les profs, les difficultés, le bac, la fatigue et tout le reste... Mais malgré tout je réalise que je me suis créé de beaux souvenirs là-bas, et surtout que le Jade que je suis aujourd'hui serait bien différent si je n'étais jamais passé par cette phase.

Et puis, c'est là-bas que j'ai rencontré Jeanne.

À la simple pensée de son nom, mon cœur manque de se briser sous l'impact. Penser à elle fait trop mal pour l'instant mais paradoxalement, c'est la seule chose qui me fait tenir en ce moment. Elle me manque tellement que c'est irrespirable. Je crois que je serais prêt à absolument n'importe quoi pour la revoir, même une minute, même une sec...

Hé.

Soudain, ça fait tilt dans ma tête. Jeanne adore ce genre d'évènements ; la connaissant, je me demande même si ce n'est pas elle qui en a eu l'idée ou si elle ne participe pas à l'organisation. Elle y sera forcément, c'est une évidence.

Je rouvre les paupières. Mes yeux se posent sur l'un des cartons posé en haut d'une pile près de l'évier – qui est situé à moins de deux mètres de mon lit. Il est écrit « SOUVENIRS » en majuscules dessus. Dedans, il n'y a que des cadeaux qu'elle m'a fait ou des affaires qui me feront toujours penser à elle à cause des souvenirs que nous avons créé ensemble autour de celles-ci. Je sais que ces souvenirs sont bien dans ce carton parce que c'est moi qui l'ait rempli, celui-là.

Je repense alors à notre appartement complètement vide le jour du déménagement. J'étais parti deux jours en Bretagne chez mes grands-parents pour lui laisser le temps de préparer ses affaires et quand je suis rentré, elle avait déménagé avec l'aide de ses copines. Il ne restait que des bouts de ma vie éparpillés dans toutes les pièces au milieu d'étagères à moitié vides.

Ça m'a absolument brisé le cœur.

Je ne sais pas comment passer à autre chose. Je ne pense qu'à elle, tout le temps, du matin au soir. Je n'arrive plus à savoir si je la déteste ou si je suis fou amoureux d'elle – probablement les deux. Si seulement nous ne nous étions pas rencontrés aussi jeunes, je pourrais au moins me rappeler de ma vie avant elle et essayer de la reprendre... Mais ce n'est pas le cas.

Je suis tombé amoureux de Jeanne après le bal de promo de mon année de seconde et depuis, mon cœur n'a fait que crier son nom. Sans elle, j'ai l'impression que plus rien n'a de sens.

Alors si je dois aller à ce stupide gala au lycée pour espérer la recroiser, ne serait-ce qu'une demi-seconde... Je le ferais.

Je le ferais sans hésiter.

(Not) Meant to beOù les histoires vivent. Découvrez maintenant