6 : (not) indifferent

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JADE

— Est-ce que ça va ?

Je sursaute en entendant la voix de Lorys retentir dans le noir. Je pensais qu'il dormait déjà depuis un bout de temps.

— Euh, ouais. Et toi, ça va ?

Mon frère ignore ma question et rétorque :

— Jade, sérieusement. Est-ce que tu vas bien ?

Je pousse un soupir et roule pour me retourner sur le dos et fixer le plafond. À ma gauche je sens le matelas s'affaisser, signe qu'il fait la même chose que moi.

— Je sais pas. Je crois pas.

— À cause de Jeanne ?

Entendre son prénom me fait le même effet que de me faire rouler dessus par un semi-remorque lancé à pleine vitesse sur l'autoroute.

J'ai beaucoup pensé à elle, aujourd'hui. Jeanne venait toujours à toutes mes fêtes de famille et je sais que si les choses étaient différentes elle n'aurait manqué l'anniversaire des triplés pour rien au monde. Tout le monde l'adorait, surtout Irène. Elle qui est la seule fille de la fratrie, elle disait qu'elle avait enfin une alliée parmi tous les garçons.

— Je... C'est... Ça fait trop mal d'en parler.

— Mhm. Je comprends.

Mon frère n'ajoute rien d'autre. Mes yeux se sont habitués à l'obscurité de la chambre et je l'aperçois passer ses doigts le long des barreaux de la tête de lit, comme quand on était petits. On a partagé cette chambre chez mes parents jusqu'à ce qu'il parte à l'armée et depuis, chaque fois qu'on se retrouve dans cette maison on dort toujours ensemble ici. Nos deux petits lits ont été remplacés par un grand kingsize tellement immense qu'on se touche à peine une fois allongés, et ce même si mon frère a des mensurations plus proches de celles d'un frigo que d'un humain.

— Ça me soûle de n'avoir aucun conseil à te donner, dit-il alors. Je ne sais pas ce qu'on est censé dire à son petit frère au cœur brisé qui vient de se faire larguer.

— Merci d'avoir redit les choses à haute voix, je me sens beaucoup mieux maintenant.

Mon ironie lui arrache un petit rire.

— Désolé, c'est juste... Te prends pas la tête, OK ? Sors, rencontre du monde, rencontre des filles peut-être aussi... Et avec le temps tu finiras bien par l'oublier.

— Ouais, on verra.

Je ne suis pas d'humeur à le contredire et lui dire que je ne pourrais jamais oublier Jeanne, et ce parce que je me suis littéralement construit autour d'elle. Tous mes projets, une grosse partie de ma personnalité et tous mes souvenirs d'adolescence lui sont associés. Sans elle, je ne sais même plus qui je suis.

Soudain, je suffoque. Sans réfléchir, j'ouvre la couette et me hisse sur mes pieds en rétorquant :

— Je vais aller me péter une clope.

— À cette heure-là ? Arrête, tu vas réveiller les parents.

— Ça va, je ne ferais pas de bruit en passant devant leur chambre.

J'entends Lorys soupirer mais je ne dis rien de plus, me contentant d'enfiler un sweat-shirt par-dessus mon pyjama et de quitter la chambre à pas feutrés après avoir pris le nécessaire que j'avais abandonné sur la commode après le repas. Comme promis, je fais le moins de bruit possible dans le couloir et rejoins la cuisine, où je m'échappe sur la terrasse par la baie vitrée. L'air frais de l'automne me fouette aussitôt le visage et j'ai très vite la chair de poule mais je referme tout de même la porte et m'assieds sur l'une des marches en pierre, protégeant ma cigarette du vent pour l'allumer.

(Not) Meant to beOù les histoires vivent. Découvrez maintenant