Et le jour fût nuit...

122 15 377
                                    

"La bénédiction du cerf"

Les pages sont légèrement jaunies et certaines décrochées par le fil du temps. Son doigt effleure l'image représentant l'être mystique qui l'a bénite.

Les rayons de ce qui semble être le soleil percent les arbres majestueux d'une lumière éclatante tandis que la Forêt accueil cette couleur sacrée sur ses feuilles et ses troncs, éblouissant l'œuvre d'une chaleur sainte.

Et le cerf...

Son ongle trace ses bois d'or ancrés dans la reliure, caresse sa fourrure d'une pureté céleste. L'image dépeint le divin de ce dieu que l'on prie par la parole et le sang. Sa présence imposante parmi la terre où il siège, même les arbres semblent lui faire place.

Quand elle était petite, elle rêvait de ces grandeurs, de cette lumière divine qu'apporte le soleil, mais elle n'a jamais vu le soleil. Et elle connaît encore moins cette douce image qui orne le livre. Car la froideur de ses visions s'impose à son esprit comme une malédiction et non un enchantement. Elle s'étend dans chacune de ses pensées, tissant sa toile dans les coins et recoins de son esprit, attendant de jaillir.

Maintenant, même lorsqu'elle regarde l'horizon par la fenêtre, ses mains tremblent d'une peur inconnue.

Elle ne connaîtra jamais cette forêt de lumière, car seul s'étend les ténèbres et l'angoisse, le cerf en sang, la tempête en écho...

Elle ouvre le livre. Elle ne l'a jamais lu entièrement, mais son père la lui contait tous les soirs lorsqu'elle était encore enfant et qu'il venait la border. Mais depuis, les seuls chapitres auxquels elle accorde de l'attention sont le prologue et le passage de la nuit. Elle n'aimait pas vraiment les chapitres parlant de l'humanité. Son confort s'attardait dans le sacrifice de la Vie et son amour porté à son espèce.

Quelques fois, lorsque le sommeil reste absent, elle s'imagine revenir à cette époque, pour supplier le soleil de ne laisser aucune bénédiction.

Ou du moins de l'en épargner...

Les feuilles défilent entre ses mains, à la recherche d'un titre... Lorsqu'elle aperçoit le croissant tant admiré, elle ouvre le livre en grand et observe son nom.

"Reiinka: le premier Soir."

Ses yeux se laissent glisser sur les mots comme un besoin, un appel. Non celui de la Forêt, mais celui de son cœur.

"Et un jour fut nuit..."

Son imagination essaie toujours de se décrire ce qu'est la nuit ou le soir. Elle sait qu'elle finira par le voir, ces mots qui lui ont donné naissance, mais cet instant inconnu d'elle, semble trop lointain pour son esprit.

-"Et un jour fut nuit..." Dit-elle en observant chaques lettres.

Une larme roule sur sa joue avant de s'échouer sur le bas de la page.

Pourra-t-elle seulement voir l'extérieur ?

Elle aurait dû partir quand elle le pouvait.

Pourquoi n'est-elle pas partie ?

Si il y a une chose dont elle est persuadée, c'est qu'elle n'a été gratifiée d'aucune bénédiction. Les mots de la Lune, imprégnés de malheur, se sont accrochés à sa peau. Elle ne sait pas pourquoi la Lune a décidé de la tourmenter, pourquoi elle fait des cauchemars chaque nuit, même éveillée. Elle ne sait pas pourquoi il a fallu qu'elle naisse à ce moment, ni pourquoi lorsque la vie lui fut donnée, celle de sa mère fut prise.

"L'enfant sentit les lèvres se poser sur son front et"...

Est-ce que sa mère a eu le temps de l'embrasser ?

Le Sang du SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant