Chapitre 21

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Stiles n'aimait pas ce qu'il ressentait, tout comme il n'aimait pas lorsqu'il n'arrivait pas à se décrypter lui-même. Son point fort, c'était l'analyse. En ce jour, il peinait à différencier cette angoisse sourde et incompréhensible de cette peur muette qui l'étreignait depuis son réveil tout récent. Parce qu'il reconnaissait ces draps, reconnaissait ce lit. Se souvenait vaguement d'un Derek venu le voir et l'étreindre. Mais rien de plus. Il ne se rappelait pas de ses mots, de ses veines tentatives pour le calmer – pourquoi, le calmer ?

Tout ce qu'il avait retenu, c'était le geste. Ce câlin fait dans l'urgence. Quelques instants plus tard, c'était le noir.

Et Stiles constatait, à force de réfléchir, que ses souvenirs récents étaient pleins de trous. Le pire, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une nouveauté pour lui – il en avait en quelque sorte l'habitude. Alors voilà, il savait qu'il était au loft, que Derek était venu le voir une fois dans la chambre et... Il s'agissait d'à peu près tout ce dont il se rappelait. Le truc, c'est que l'hyperactif détestait ne pas savoir et la question d'habitude n'y changeait rien : il avait besoin d'éclaircir tous ces points d'ombre.

La première étape, pour cela, consistait à se lever. Se lever pour marcher, se déplacer, trouver des moyens de se stimuler car Stiles s'imaginait qu'il n'était peut-être pas encore assez réveillé. Qu'il lui fallait prendre un café, même s'il savait pertinemment que ce n'était pas bon pour lui.

A côté de cela, il ne bougeait pas. Son corps ne suivait pas sa tête, décidant de rester au chaud sous les couvertures, en sécurité. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'était ce que Stiles ressentait. Il avait l'impression qu'ici, dans cette chambre, il était tranquille et que personne de mal intentionné ne pourrait l'atteindre. En dehors, rien n'était moins sûr. Stiles savait pertinemment que le reste du loft était tout aussi sécuritaire que cette pièce, mais... Il n'avait pas le cœur à en sortir, pas le cœur non plus à prendre le risque de se lever et de découvrir des choses qui pourraient le déranger.

Car d'une manière ou d'une autre, il sentait. Il sentait. Sentait.

Savait.

Sans y mettre les mots consciemment.

Stiles avait juste l'impression qu'il valait mieux pour lui rester là, dans ce lit et que profiter de sa chaleur était tout ce qu'il pouvait s'accorder pour l'instant. Parfois, l'ignorance était préférable au reste dans son état un peu flou, cet état qu'il n'arrivait ni à nommer, ni à analyser. Alors, l'hyperactif ne bougea pas et se contenta de fermer les yeux, certain d'une seule et unique chose.

Il ne voulait plus partir du loft, plus mettre un pied en dehors. Retourner chez lui, certainement pas. S'il aurait dit l'inverse quelques jours plus tôt et qu'il était effectivement rentré à la maison, Stiles avait conscience qu'il ne le voulait plus.

Et que la raison pour laquelle il avait atterri au loft depuis chez lui sans avoir le souvenir d'y être venu tout seul n'était pas anodine.

Stiles se recroquevilla sur lui-même et céda à l'immobilisme. Ne pas bouger, il avait l'habitude. Réflexe de protection ou de soumission, qu'importe. Le jeune homme avait un ressenti étrange qu'il préférait ne mettre en valeur d'aucune manière. Là aussi, il se préservait. Car le mal-être qui l'habitait, même s'il ne lui était pas étranger, restait à peu près tenable. Or, Stiles avait constaté, l'esprit dans le brouillard, que se mouvoir lui faisait quelque chose. Que son corps semblait lui faire mal ici et là, que certaines zones qui lui étaient intimes lui paraissaient un peu trop sensible. Et, forcément, l'humain ne voulait pas avoir à penser à la cause probable de tout cela. En cet instant, il préférait le brouillard aux éclaircies. Plus que cela : il en avait besoin.

Et pourtant, son cœur battait vite, ses sourcils se fronçaient petit à petit, ses yeux clos s'humidifiaient lentement.

Stiles se sentait mal.

Misérable. Pourri. Sale.

Était-ce le fruit de la nécrose graduelle de son secret si longtemps gardé ou bien de quelque chose d'autre, quelque chose dont il ne se souvenait pas clairement ? Stiles ne voulait pas s'avancer et il ne le ferait pas, pour la bonne et simple raison qu'il n'avait pas besoin de se compliquer la vie – elle était déjà assez difficile comme ça. Pourquoi émettrait-il l'hypothèse d'une nouvelle agression ? Pourquoi irait-il s'imaginer que c'était peut-être arrivé, encore ? Il chercha à se rassurer en se disant que s'il se trouvait au loft, c'est qu'il ne s'était rien passé ou que Derek était à nouveau... Intervenu alors qu'Emile comptait le briser, une fois de plus. Sauf que pour cette fois, l'hypothèse ne collait pas. Dans ses souvenirs, le policier était encore à l'hôpital. Du reste, il devait s'y trouver encore. L'hypothèse qu'Emile l'ait à nouveau agressé ne tenait pas debout. Et même si cette absurdité s'avérait réelle, Stiles ne pourrait de toute façon rien faire d'autre que de garder ça pour lui.

La justice ne traitait pas les cas comme les siens.

De manière générale, Stiles n'avait aucune preuve de rien et savait pertinemment qu'il était en train de se monter la tête. A l'heure actuelle, il ne savait rien si ce n'est qu'il se sentait mal, mais ça... Ce n'était pas quelque chose de nouveau. Il s'agissait d'un poids avec lequel il avait appris à vivre au fil des années, avec la sensation perpétuelle d'avoir une certaine souillure incrustée dans la peau. Dans son sang. Dans son ADN.

Ses doigts se crispèrent sur les draps qu'il tenait obstinément serrés dans ses mains. Pour une raison qu'il ignorait, Stiles ne voulait pas les lâcher. Il voulait se sentir couvert, savoir son corps hors de la vue directe de qui que ce soit.

Il avait besoin d'avoir l'impression d'être tranquille. A l'abri. Dans un putain de lit.

Un gémissement pitoyable passa la barrière de ses lèvres alors qu'il se mettait à pleurer de la plus incompréhensible des manières. Le pire, c'est qu'il se savait incapable d'expliquer la raison pour laquelle il explosait de la sorte. Ses pleurs, qu'il savait silencieux, résonnaient bruyamment en lui. Ce qui sortait de ses yeux n'était que l'expression minimale de toute cette horreur qu'on lui avait imposée, tous ces morceaux de lui brisés et éparpillés ça et là. C'était à l'intérieur que ça hurlait, que ça disait des mots durs, que se répétaient les mêmes pages – celles qu'il n'arrivait pas à tourner. Stiles n'avançait plus depuis des années et s'il en avait pleinement conscience, il eut soudainement l'impression de commencer à reculer. De faire un, deux, six pas en arrière. De se dire qu'elle était loin, la fin de son calvaire... Un calvaire qui, malheureusement, n'existait pas que sur le plan physique.

C'était, à la manière d'une toile d'araignée, quelque chose qui lui collerait à la peau toute sa vie durant. Un boulet immatériel accroché à sa cheville, un tatouage invisible mais pourtant bel et bien indélébile.

Dans cet éclat silencieux, Stiles imagina. Se recréa les scènes dans sa tête. N'eut aucun mal à imaginer ce lieu où l'horreur avait créé la victime et le bourreau. Le pantin et le marionnettiste. Le coupable et l'impuni. Coupable, parce que c'était ainsi que la justice, du nom de Noah Stilinski, l'avait jugé dans son jugement aveugle et partial.

Alors quoi qu'il ait vécu ou non à l'intérieur de ces bulles de mémoires vides, Stiles ne s'imagina pas que les choses changeraient, elles qui n'avaient pour destinée que la continuité de sa déchéance morbide. Il voyait cela comme un escalier descendant vers des ténèbres qui n'en laissaient pas voir la destination. C'était son chemin à lui, le seul qu'il pouvait emprunter.

Et mentalement, il s'y engagea. La main sur la froide rambarde de métal, les pieds nus manquant de déraper sur le bois pourri qu'il connaissait si bien.

A l'extérieur, les choses s'étaient calmées. Stiles ne pleurait plus mais ses joues témoignaient de son éclat silencieux. Son cœur, s'il avait ralenti son allure, c'était désormais trop lentement qu'il battait. Ses yeux rougis aux étincelles vacillantes fixaient le drap froissé, là où ses doigts l'avaient serré fort.

Ils l'avaient lâché.

Dans un silence tonitruant, Stiles commençait lentement à abandonner la partie... A la manière dont il avait laissé tomber les armes, quelques jours plus tôt.

La Vérité dans le mensonge 2.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant