Deux bouts de carton et une ficelle ➳ 𝔉𝔢𝔩𝔦𝔵

09

- Bonjour Lucy. 

- Coucou Felix. 

- Tu vas bien aujourd'hui ? 

- Je crois. Et toi ? 

Heureux qu'elle me retourne la question, je répond :

- Très bien. 

- Je me demandais quelque chose, dit-elle alors que nous nous mettons en marche vers l'antiquaire. 

- Oui ? 

- Comment ça se fait que je ne t'avais jamais vu ici alors que tu vis ici ? On aurait dû se voir. Ma maison n'est pas très loin non plus. 

- Je suis rarement chez mes parents. Je suis venu les voir pour les fêtes. 

- Tu habites loin ? 

- Oui, sur un autre continent. En Corée du Sud. 

Elle ouvre de grand yeux émerveillés :

- Tu vis tout seul ? 

- Pas vraiment. Je suis très souvent avec mes amis, souriais je. 

- Vous vivez tous ensembles ? demande-t-elle, intriguée.

Lucy est très bavarde aujourd'hui, elle m'a si peu posé des questions que cela m'étonne autant que cela me ravit. 

- En quelque sorte oui. 

- Vous êtes amis depuis longtemps ? 

- Des années ! 

- Et ils sont gentils avec toi ? 

- Très. Nous sommes plus comme des frères désormais. Tu verras en grandissant, certains amis deviennent comme des membres de ta famille avec le temps. 

Je souris en disant ses mots, réalisant que malgré le bonheur d'être avec mes sœurs et mes parents, les garçons me manquent. Nous sommes si souvent ensembles, qu'être séparé d'eux est étrange, comme si il me manquait quelque chose, que je n'étais pas complet. Lucy est trop jeune pour comprendre ce sentiment, mais sa curiosité me pousse à développer ma pensée :

- Vraiment ?

- Mais oui. Tu sais, il y a une famille que la vie nous impose, mais la seconde c'est à toi de la choisir. 

Ces mots semblent inciter Lucy a réfléchir, et elle s'arrête de marcher. 

- Je peux choisir une deuxième famille ? 

- Plus ou moins, dis-je en m'arrêtant aussi. 

J'ai peur que Lucy prenne mes mots trop au pied de la lettre à cause de son jeune âge, alors j'essaie de lui expliquer :

- Tu vas ou as déjà rencontré une ou plusieurs personnes qui te connaissent mieux que n'importe qui, avec qui tu peux parler de tout sans jugement, qui te comprennent et t'écoutent, qui t'aiment malgré tes imperfections et qui apprécient chacune de tes facettes, même celles que tu n'aimes pas et que tu caches. Eux ils les voient et t'aident à les supporter. Ils aiment ta compagnie et te le montrent sans retenue, ils aiment ce que tu n'aimes pas en toi et croient en toi quand tu n'es pas capable de le faire. Et ça, c'est une chose magique. C'est ce qui différentie tes amis et ceux qui deviennent ta deuxième famille. 

Attentive, Lucy boit mes paroles comme un trésor. 

- Et tu verras que ce sont ces personnes là qui restent dans le temps. Des amis et des promesses tu en auras, mais eux, ils tiendront ces promesses et resteront avec toi pour tout traverser à tes côtés. Tu ne les verras pas toujours, mais le temps te montrera qui ils sont. 

Elle hoche lentement la tête alors que mon monologue s'achève, mes mots se perdant dans le vent et vers le cœur de la petite. 

- Tu crois avoir rencontré ces amis ? demandais-je alors. 

- Non. 

- Ne t'en fais pas, tu es encore jeune. 

Elle reprend alors, sur un ton plus timide, en jouant nerveusement avec ses petites mains froides :

- Il y a peut-être quelqu'un, mais je ne suis pas sûre qu'il veuille bien être ma deuxième famille. 

- Pour le savoir, tu ne dois pas le lui demander. Si c'est le cas, tu le verras sans avoir besoin d'ouvrir la bouche. 

Elle ne répond pas et hoche la tête alors que nous poussons la porte de notre lieu de rendez-vous journalier. 

- Bonjour Herman ! lançais je en entrant dans la boutique. 

- Mes clients préférés ! sourit le vendeur. Comment allez-vous ?

Lucy redevient plus discrète, mais elle décroche quand même un chaud sourire au monsieur. 

- Très bien. Nous sommes allés au café hier, dis-je alors que Lucy se cache encore un peu derrière moi. 

- Au Foamy kangaroo ?

- Oui, comme tu nous l'avais recommandé. C'étais très bon. Lucy, tu veux dire ce que tu as prit hier ? 

- Un chocolat chaud et un gâteau, murmure-t-elle. 

Je souris et Herman reprend :

- Vous avez gouté le pain d'épices ? 

- Oui ! dis-je. Il était très bon, n'est-ce pas Lucy ? 

Elle acquiesce. 

- Je suis heureux de vous avoir fait découvrir ce café. Les gérants et serveurs sont adorables et ce qu'ils proposent est délicieux. 

- C'est bien vrai, merci encore. 

- C'est tout à fait normal Felix. Je suis étonné que vous n'y soyez jamais allés en vivant dans le coin. Même si le café est assez neuf, il a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps.

- Felix n'habite pas ici, lance alors Lucy. Il habite ailleurs avec ses amis. 

- Ho ! s'étonne Herman. Tu n'es que de passage en ville ? 

- Oui, chez ma famille. Je vis à Séoul la plupart du temps. 

- C'est comment là-bas ? demande le vieux monsieur, réellement curieux. 

Je souris en imaginant les rues enneigées de ma ville de cœur et en me souvenant de l'ambiance qui y règne à Noël :

- Magique. C'est comme un rêve. J'ai eu peur en y déménageant parce que c'était un énorme changement, mais c'était la meilleure décision de ma vie. 

- Je n'ai jamais eu l'occasion de voyager, soupire Herman, rêveur. Aujourd'hui c'est trop tard, je peine déjà à traverser la rue, alors partir en Corée... 

- Pour la Corée je ne sais pas, mais que diriez vous de venir boire un café avec nous la prochaine fois ? Je pourrais vous parler de la vie à Séoul et de mes voyages. Et je sens que Lucy veut en savoir plus aussi, pas vrai ? 

La petite qui a suivit toute la discussion avec des paillettes dans les yeux, hoche vigoureusement la tête, un grand sourire aux lèvres. Je n'ai pas prévu de leur parler de ma carrière qui n'intéressera pas vraiment le fillette ni la vieillard, mais plutôt des expériences enrichissantes qui en ont découlées. 

Et à ces mots, le visage de l'homme s'illumine soudain aussi fort que les décorations de Noël dans les rues et il sourit sincèrement :

- Avec plaisir. A condition que tu cesses de me vouvoyer, Felix.